Tout semble avoir déjà été dit sur Hollow Knight : Silksong, plus communément appelé Silksong, la suite arlésienne d'un des jeux indépendants les plus emblématiques et les plus influences de la dernière décennie (voire de l'histoire du jeu vidéo).
Mais alors que j'ai enfin atteint les 100% sur mon run initial, et débloqué la plupart des succès possibles sur une première sauvegarde (tous, sauf un en fait, que j'avais pressenti mais que j'ai eu une flemme cosmique de faire on va pas se mentir), je me dis qu'il est acceptable de livrer quelques pensées et réactions à chaud, à froid et à tiède sur ce jeu marquant mais qu'à l'heure actuelle je ne vois pourtant pas détrôner son grand frère dans mon cœur.
J'ai découvert Hollow Knight peu après sa sortie, un ami de l'époque qui bossait dans l'univers du jeu vidéo me l'avait fait essayer dans un train pour Toulouse - je ne savais pas alors que cette amitié serait fracassée 7 ans plus tard et que Toulouse deviendrait peu de temps après ma ville d'adoption. Ma première heure dans ce jeu froid, étrange, mutique et plutôt difficile pour le gamer inexpérimenté que j'étais (que je suis toujours, soyons honnête), m'avait grandement dérouté. Que faire ? Où aller ? Pourquoi je meurs sur pratiquement tout ce que je croise ? Pour le personnage semble aussi lourd et lent et peu agile ?
Finalement, j'y étais revenu, graduellement, pour devenir adepte voire légèrement obsédé par le jeu. A ce jour, plusieurs sauvegardes et centaines d'heures plus tard, y compris une iconique "speedrun steel heart / soul 100%" qui m'a vu débloquer successivement et dans la même partie 4 succès qu'il manquait à mon arsenal, il ne me reste plus que 2 panthéons à vaincre, et si j'ai brièvement tenté d'accomplir ce qui serait par rapport à mon style de jeu et à mon skill un exploit, la sortie paradoxalement inattendue de Silksong début septembre a repoussé sine die ce projet un peu fou et pas très excitant en ce qui me concerne.
Silksong donc, annoncé depuis 2019, sans cesse repoussé, devenu l'objet de sarcasmes et de désillusions, de memes iconiques et de chaîne YouTube au principe similaire au compte Twitter "Est-ce que Jean-Marie Le Pen est mort ?". Hé bien bonne nouvelle, depuis le 4 septembre dernier, non seulement Le Pen est bien mort et enterré depuis des mois, mais Silksong est sorti, dans une fenêtre accélérée de deux folles semaines qui ont rendu la reprise du travail à la mi-août bien plus intéressantes que je ne l'aurais imaginé. Et en à peine un moins plus tard, et quelques 125h de jeu, j'ai donc achevé le jeu dans son intégralité, me retrouvant avec 5 petits succès à débloquer : finir le jeu sans mourir, finir le jeu à 100% sans mourir, finir le jeu en moins de 5h, finir le jeu à 100% en moins de 30h (lol) et celui que j'évoquais plus haut et que j'aurais pu avoir le courage de faire durant ma première sauvegarde, débloquer la fin zulawskienne de Silksong et vomir du lait dans le métro berlinois. (hein, quoi ?)
On prend les mêmes et on recommence : même studio, même équipe, même direction artistique, même principe, avec suffisamment d'écarts et de similitudes pour qu'on soit en terrain connu tout en ayant jamais la sensation de se faire duper et de jouer à un clone déguisé en suite du premier jeu. L'idée de changer le point de vue, l'énonciation et donc le narratif central se révèle bien plus pertinente que le simple gimmick que cela aurait pu devenir, tant la Team Cherry a embrassé corps et âme toutes les implications de ce bouleversement de paradigme : cela va d'une gamme chromatique nettement réchauffée (hyper saturation verte du premier monde, zones incandescentes, déclinaisons de carmin, de pourpre, et touches bleutées en retrait) à un panel de mouvements et de combos nettement plus complexifiés à travers le principe des crests (je joue en anglais, je risque de reprendre les termes non traduits) et de leur modularité. Hornet est plus rapide, plus agile, plus difficile à prendre en main surtout avec le build de départ qui a du être un cauchemar pour plus d'une personne, moi la première. Mais aussi un jeu nettement plus disert, presque bavard : foule de NPC qui conversent avec nous mais dont on peut également sonder les pensées ou les souvenirs (ou les réminiscences) via un système proche mais pas totalement équivalent du Dream nail, et surtout Hornet qui leur répond ou les interpelle. La bonne idée de ce renversement étant de résumer en quelques interjections abstraites les bulles de texte que l'on fait défiler, pour ne pas parasiter la bande son de dialogues qu'il aurait en plus fallu traduire à l'oral dans toutes les langues. La traduction semble d'ailleurs être un point d'achoppement des critiques négatives du jeu, en particulier dans le monde asiatique (chinois simplifié notamment). De ce que j'en ai aperçu, la traduction française, sans être mauvaise, perd quelque chose de l'aura mystérieuse de Pharloom à travers des transpositions un peu alambiquées et parfois franchement désuètes comparées à l'esprit de synthèse thématique de l'anglais. Je n'ai donc jamais regretté mon choix de jouer en VO, choix initialement motivé par le fait que je savais que je regarderai beaucoup de streams du jeu en VO et que je ne voulais pas me perdre dans les correspondances pour les lieux, les outils / items, les personnages et les boss.
Mais si changement de paradigme il y a, cela s'opère presque toujours dans un double mouvement contradictoire de fausse symétrie entre Hollow Knight et Silksong. Chaque élément constitutif et fondateur du premier retrouve en miroir une correspondance plus ou moins altérée dans sa fausse jumelle : Cornifer et le système de cartes à acheter ? Pas de souci, cela devient Shakra, aussi belliqueuse que Cornifer était couard. La trouver rapidement lorsque l'on explore une nouvelle zone pour la première fois ne devient pas tant un enjeu lorsque l'on s'aperçoit que, vendeuse itinérante, il suffit de la croiser ailleurs, et parfois dans une zone déjà balisée pour acheter à posteriori les cartes (et d'autres artefacts proches du système de HK) des zones déjà visitées. On retrouve donc la familiarité d'un système du premier jeu, mais avec des ajustements significatifs pour que l'expérience soit renouvelée et pas simplement transposée. Par ailleurs, dans l'acte 2, et dans une moindre dans les actes 1 et 3, on peut aussi "trouver" des cartes de fortune sous diverses formes, en complément de celles vendues par Shakra. C'est une petite touche appréciable. Je pourrais ainsi me lancer dans un comparatif élément par élément de tout ce qui existait sous une forme dans HK et se retrouve sous une autre dans Silksong mais ce serait un brin fastidieux. Retenez juste le principe de la juste dose et du bon équilibre entre nouveauté et familiarité, sans pour autant remettre en question tout le principe du jeu. Emblématique aussi de ce renversement qui conserve pourtant l'esprit du jeu initial est cette ascension vers le sommet de la citadelle, là où HK opérait une descente dans les abysses. Mais l'acte 3 vient modérer cette inversion un peu schématique.
Il en va de même pour le découpage de la narration, ce que d'aucuns ont appelé "la linéarité du scénario" comparée au monde de HK et son fonctionnement de metroidvania. Certes, il y a un séquençage net en 3 actes (le suspense sur le nombre des actes étant assez réel au début, mais vite éventé par le buzz énorme du jeu), avec un 3e acte à côté duquel on peut facilement passer je pense. Néanmoins, la map obéit je trouve au même principe de zones inaccessibles tant que l'on a pas débloqués certaines capacités (qui arrivent parfois vraiment tard dans le jeu) que dans HK, et surtout l'argument de la linéarité ne tient selon moi pas tant que ça puisque les façons de parvenir à l'acte 2 sont au final assez multiples et que le chemin critique du jeu connaît détours et raccourcis que les speedrunners n'ont probablement pas tarder à exploiter - je n'ai pas encore plongé dans les speedruns de Silksong, je préfère terminer de regarder le run initial de Fireb0rn avec suffisamment de décalage pour ne jamais m'être spoilé ma partie. Il y a par ailleurs une bonne partie du jeu qui est purement optionnelles, des zones qu'on peut ne jamais découvrir ou traverser, des NPC avec lesquels on n'est pas obligés d'interagir, des boss que l'on peut ne pas combattre... tout en obtenant 100% à la fin. Cela casse un peu le sentiment de linéarité que l'on peut ressentir par le séquençage en actes, le chemin critique formé par la quête principale et ses différentes étapes (pourtant parfois contournables sous conditions) et l'enchaînement "naturel" des différentes zones surtout dans l'acte 1. N'importe quelle personne ayant creusé un minimum le jeu et faisant preuve d'honnêteté intellectuelle admettra que ce sentiment est largement dissipé à l'acte 2, voire avant pour les plus malins qui auront privilégié l'exploration et les quêtes annexes à la quête principale - c'était mon cas. Tout ceci assurant en tout cas une certaine rejouabilité et durée de vie à un jeu dont on attend par ailleurs les annonces pour les premiers DLC qui devraient logiquement arriver début 2026 (au moins un système de panthéon).
Un autre aspect qui revient beaucoup, dans les critiques positives comme négatives autour du jeu, est la surenchère dont il fait parfois preuve (et ce dès les différentes annonces promotionnelles) : s'il tient effectivement ses promesses (plus d'ennemis ! plus de boss ! plus de zones à explorer !), la difficulté élevée du jeu, et assez rapidement dans l'histoire une fois sorti des deux premières zones, combinée à des phases de combats nettement plus longues, complexes et récurrentes, peut avoir un effet assommant. Pour ma part, j'ai perdu au total quelques dizaines d'heures sur une poignée de bosses et d'arènes et peut-être que j'aurais un peu plus apprécié ponctuellement une difficulté plus équilibrée. Mais il faut aussi dire que dans certains cas, privilégier l'exploration à la quête principale fait que je n'avais pas développé mon built ou découvert le crest qui m'aurait épargné bien des soucis (coucou Hunter's march, je parle de toi là), et que j'aurais parfois du tirer les leçons des passages les plus épineux de HK qui m'avaient autrefois bloqué considérablement alors que retenter le même combat avec les bons sorts / charmes / nail upgrades faisait toute la différence. Ici c'est sensiblement pareil : explorer Hunter's March ou Bilewater / Sinner's Road avec un build de départ et le crest initial est une très mauvais idée, revenir quand on a plus d'options possibles et la masse d'outils à balancer dans certains combats change radicalement la donne. Et bonne nouvelle, si le jeu devient objectivement de plus en plus dur, normalement (c'est à dire hors speedrun), le build du joueur s'enrichit considérablement et rééquilibre cette difficulté.
Mais vous vous en doutez en voyant ma note (un joli 9 me semble bien) et le nombre d'heures passées à y jouer en aussi peu de temps, même si j'ai ragé, pesté et buté sur certains passages horribles, même si j'ai du regarder en ligne pour quelques pourcents fatidiques vers la fin et ne pas avoir à refaire l'intégralité de la map en tapant dans tous les murs à chaque fois (et c'est un peu l'idée pour certaines zones vraiment cachées), j'ai adoré ce jeu. La beauté folle de la direction artistique, les moments où on a juste envie de s'arrêter sans mettre pause pour apprécier la richesse des dessins, des arrière-plans ou de la musique de Christopher Larkin (moins riches en thèmes différents et marquants mais plus subtile par son travail sur les leitmotive), le plaisir de découvrir un secret, un nouveau NPC, de first try un boss de temps en temps, est vraiment assez incomparable. Curieusement, le jeu auquel j'ai le plus pensé devant ce Silksong, ce n'est pas forcément Hollow Knight (car ce sont deux jeux finalement très différents en termes d'ambiance), mais le tout premier Rayman. Tant du point de vue des capacités (le grappin, le fait de pouvoir s'accrocher au bord d'une plateforme, la course) que de certains mondes et ennemis, j'ai vraiment constamment été ramené à cet émerveillement primitif de mon enfance quand je jouais encore et encore à ce classique de la PS1. Et d'ailleurs, la comparaison ne s'arrête sans doute pas là : graphisme 2D très coloré, humour pour égayer un scénario par ailleurs assez sombre, phases de fuite en avant ou à la verticale pour échapper à la lave ou un éboulement, et rôle prépondérant d'une musique à la fois simple et sophistiquée qui vient souligner de manière dramatique l'atmosphère de certains épisodes, sans parler du rôle diégétique de la musique dans le jeu - après tout il y est bien question de "song" en permanence à partir du milieu de l'acte 1.
Avertissement toutefois aux complétistes, finir ce jeu à 100% est une gageure, de par la difficulté et la longueur de certaines quêtes annexes et la difficulté parfois absurde de certains combats ou mini-jeux (oui, le jonglage, je parle de toi). Côté scénario, on retrouve la critique de l'autocratie de droit divin mais fusionnée dans une seule caste et un seul monarque, avec un propos assez intéressant sur le rôle des religions dans les grandes opérations esclavagistes / capitalistes. L'exploration de la citadelle verticale et de ses composantes est à ce titre éloquente, avec un sens du détail remarquable (et frustrant) : bancs payants et éphémères, distributeurs de soie payants, confessional payant (et inutile), etc. Si le déroulé du jeu et sa structure avec plusieurs fins à débloquer qui changent un peu l'issue de cette histoire ne surprend pas particulièrement lorsqu'on a joué à HK (au contraire, on va chercher tout de suite à trouver les autres fins), le jeu réussit à déjouer certaines attentes par des rebondissements complètement inattendus - voire bien creepy : citons en particulier la capture de Hornet par un tortionnaire et le niveau du Slab où l'on doit retrouver ses vêtements et armes, mais aussi l'éprouvant rite qui débouche sur un parasitage bien dégueu et une fin bonus, on encore le rôle joué par les shamans (alliés ambigus de HK, ici encore plus ambigus, sortes d'agents du chaos jouant pour leur propre agenda) dans l'acte 3. Une belle touche est aussi la jouabilité de certains NPC qui se transforment temporairement en adversaires et en bosses plus ou moins optionnels, à commencer par le cloporte géant (ou bell beast) qui fait office de transport rapide pour le jeu.
Bref, un jeu foisonnant, magnifique, très bien réalisé et conçu mais dont la difficulté et la richesse peuvent parfois dérouter - sans doute pour cela qu'il a recours à des astuces plus classiques pour canaliser toute cette énergie et guider un peu plus le joueur moins expérimenté à travers une foule de quêtes et de directions à suivre.
Zones préférées : Sands of Karak / Coral Tower, Memorium, Verdania
NPC préféré : Green Prince (ou comme j'aime l'appeler à tort, le Prince grenouille)
Boss préféré : Cogwork dancers, Trobbio (et leurs musiques respectives)
Build préféré : Reaper's crest, poison, dés de magnétite, l'équivalent de long nail, les bolas électriques
Zones détestées : Bilewater, Sinner's Road, Wisp Thicket
Ennemis détestés : conchfly mais en vrai beaucoup d'autres sont horribles dans leur style
Pire boss : Le grosse conchly enragée, la dernière Juge, Beastfly (mais problème de build je pense)
Build osef : architecte, clairement sous exploité