Dans ce panthéon numérique que les années 90 élevèrent à la gloire du divertissement pixelisé, Oddworld : L'Odyssée d'Abe surgit tel un météore éthique, défiant les canons du jeu de plateforme pour leur insuffler la verve d’un conte philosophique. Rarement œuvre vidéoludique n’aura su, à ce point, mêler la satire sociale, la poésie visuelle et la rigueur mécanique dans une fresque aussi enchanteresse que déchirante.


Le joueur y incarne Abe, modeste esclave à la voix ténue, voué à l’abattoir par une industrie carnassière dont les patrons, grotesques caricatures d’un capitalisme cannibale, n’hésitent point à transformer leur propre main-d’œuvre en produits de consommation. Ainsi s’ouvre cette odyssée : non dans la gloire, mais dans la fuite, dans l’éveil d’une conscience, dans la fragile germination d’un idéal de liberté.


Le titre déploie une esthétique singulière, où les paysages pré-rendus — vastes temples oubliés, usines pestilentielles, jungles moirées — composent une tapisserie animée, tantôt sublime, tantôt terrifiante. Chaque écran, chaque plan fixe, évoque une gravure dystopique à la Goya, tandis que la musique, parcimonieuse et lancinante, distille une atmosphère de recueillement tragique.


Mais ce n’est point seulement par sa plastique que Oddworld brille. Il envoûte par son gameplay implacable, réclamant au joueur patience et sagacité, et par ce système de communication gestuelle — saluer, chuchoter, siffler — qui fait de l’interaction non un artifice, mais une prière muette adressée à l’altérité.


En somme, Oddworld : L'Odyssée d'Abe n’est point simple jeu, mais miroir déformant d’un monde aliéné, fable noire où l’individu bafoué s’élève malgré l’absurde. Comme Rousseau dénonçait la servitude volontaire, comme Voltaire raillait l’hypocrisie du pouvoir, L'Odyssée d'Abe murmure à l’oreille du joueur : « Regarde ce que tu acceptes, et choisis de désobéir. »

Kelemvor

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