Saints Row IV par Antevre
Je pense pouvoir dire sans me tromper que le délire Saints Row est pas facile à accepter pour tout le monde. Il suffit de trainer un peu sur les sites de jeu vidéo pour voir de nombreux gamers critiquer l’absence de réalisme ou la pauvreté du scénario ou même carrément clamer qu’ils ont dénaturé la licence avec le 3 puis le 4, qui va encore plus loin dans le wtf. Alors ok, je veux bien qu’on puisse ne pas aimer, c’est très particulier il faut le reconnaitre. Mais… faut pas raconter n’importe quoi non plus. Saints Row, c’est avant tout l’histoire de gens qui refusent de stagner. Qu’il s’agisse des développeurs ou des personnages.
Revenons un bref moment sur SR4 (si vous voulez vraiment pas vous gâcher le premier quart d’heure de jeu ne lisez pas) : le patron des Saints (vous), après une mission en collaboration avec le MI6, sauve les USA,… et est élu président. Ouais. Du coup , ben il reprend ses vieilles habitudes et transforme la Maison blanche en un vrai repaire de Saints, prostituées et flingues compris, tout en pratiquant une forme assez… particulière de politique. Sa cote de popularité finit vite par chuter, et c’est alors que les aliens débarquent et kidnappent l’élite terrestre, pour l’enfermer dans des simulations style Matrix. Le président, dans l’une d’elles, va alors devoir trouver un moyen de s’échapper et de péter la gueule à Zinyak, l’empereur extraterrestre.
Yeah. Ca n’a aucun sens. Et c’est génial. Le jeu fait un melting pot de plein d’univers de SF, particulièrement de cinéma et de jeu vidéo (Mass Effect en prend notamment plein la tronche, mais on a aussi de nombreuses allusions à Matrix et Terminator, parmi tant d’autres), le tout dans une ambiance Saints Row complètement décalée (préparez-vous à des trips en vaisseau spatial dans la base alien sur l’air de What is Love. Pour vous donner une idée du niveau de raffinement dans la crétinerie qu’atteint cet opus). C’est littéralement un véritable bordel intersidéral (j’insiste sur le littéralement d’ailleurs).
Après cette petite mise en bouche, j’aimerais revenir sur l’aspect « licence dénaturée ». Ceux qui disent ça ont-ils seulement joué à SR2 ? J’avoue personnellement en toute honnêteté n’avoir pas fait le un, mais le deux est déjà un énorme délire second degré de tous les instants. Pas aussi absurde que le trois, mais déjà à prendre au moins au troisième voire quatrième degré minimum. C’est barré du début à la fin, et je suis à peu près certain que l’aspect parodie est déjà fortement présent dans le premier épisode, même si je ne peux pas en juger. Saints Row suit une logique progressive dans son développement parfaitement cohérente, dans une surenchère total : du petit street gang particulièrement miteux, on passe au puissant gang qui contrôle une ville et lutte contre des tanks, puis qui affronte carrément des motos volantes et des armes de SF, et puis enfin atteint les étoiles et lutte contre un empire alien. La prochaine étape étant d’ailleurs carrément d’aller foutre sur la gueule de Satan en personne dans l’épisode Gat Out of Hell. Parce que fuck le réalisme. Et du coup, chaque épisode se renouvelle totalement, en suivant les mêmes codes : la thématique de l’ascension (ouais, c’est des Saints quoi) sur fond de parodie toujours plus trollesque et absurde. En ce sens, La licence Saints Row est bien plus cohérente que beaucoup de ses concurrents, y compris le bébé de Rockstar qui essaie désespérément de nous revendre encore et toujours des histoires de gangsters sous de nouveaux atours. ‘Tention, je critique pas, si c’est votre trip tant mieux pour vous. Mais Saints Row a tout autant d’arguments à faire valoir, si pas plus.
Cette parenthèse refermée, j’aimerais évoquer vite fait les bémols de SR4, et en particulier le recyclage. Primo, la ville. La même que dans le précédent opus. Presque exactement. En soi… c’est pas gravissime, ce qui est plus embêtant c’est que Steel Port n’a jamais été un monde ouvert particulièrement réussi. La ville est pas extrêmement grande et est assez fade. Du coup c’est un peu frustrant. Ensuite, le moteur physique et graphique n’a pratiquement pas bougé, et ce depuis le 2. Si pour l’aspect physique on va pas râler (certains aiment pas la conduite des voitures, ce que je peux comprendre, mais la physique des corps, elle, est toujours aussi remarquable, et semble très adaptée à la motion capture, puisque les mouvements des personnages semblent toujours aussi crédibles, aussi bien dans les cutscenes qu’en jeu), pour l’aspect graphique c’est plutôt soûlant, l’absence de détails commence à peser (de même que l’animation assez faible). Enfin, qu’il s’agisse des items ou du gameplay, toute la base, c’est-à-dire un bon 80% des items et 50% du gameplay, est rigoureusement piquée du 3, qui a également largement recyclé le 2. Point noir qui ne manquera pas d’en énerver plus d’un.
Cependant… il faut prendre en considération le développement du jeu afin de comprendre. THQ, l’éditeur, est dans les emmerdes depuis des années, et a finalement dû fermer ses portes l’année avant la sortie du jeu. Du coup, Volition, les développeurs, se sont retrouvés plutôt coincés. Ils ont heureusement été finalement rachetés par Deep Silver, éditeur qui commence seulement à se faire un nom avec des jeux dont la qualité est considérée comme relativement médiocre pour des AAA (notamment les Risen et les Dead Island). Il est bon aussi de savoir que SR4, à l’origine, était censé être une extension stand-alone du trois, sous le nom Enter the Dominatrix (contenu qui sera finalement en DLC du 4), avant d’être remanié en grande partie afin de devenir un épisode numéroté. D’où la même ville, un budget relativement pauvre et l’impossibilité d’offrir un jeu 100% neuf.
D’ailleurs, ne jetons pas la pierre trop vite. J’ai évoqué les défauts, mais les qualités de ce jeu sont très largement surnuméraires. En premier lieu, l’optimisation. Le pc avec lequel j’ai joué à SR3 subissait des chutes de FPS constantes, et globalement avait du mal à le faire fonctionner de façon agréable. Je joue avec le même PC à SR4, et il fonctionne à merveille, alors même que la vitesse de déplacement impose au jeu de charger du contenu beaucoup plus vite et souvent. Les temps de chargement sont réduits, le jeu est fluide, c’est un vrai plaisir. Sans doute que le côté univers virtuel permet d’économiser intelligemment, mais ça veut dire qu’ils ont pris la peine de procéder à ce lifting. Bref, l’optimisation dont les développeurs ont fait preuve, je la perçois comme une lettre d’amour aux joueurs. Ensuite… Ben c’est très drôle. Crétin, ça ne plaira pas à tout le monde, mais vraiment hilarant par moments. Particulièrement les missions loyauté (je pense à celle de Pierce que j’ai trouvée vraiment cool).Tout est absurde, et j’adhère à fond. J’ai pu lire ici et là que le grand méchant n’avait pas de charisme. Mais … euh oui. C’est une parodie, il est censé être ridicule. Attendez, le bonhomme, c’est Zinyak, empereur des Zins, un alien moche excessivement maniéré qui cite du Shakespeare à un chef de gang qui n’en a rien à branler, c’est un vrai clown hein. Les moments d’anthologie se succèdent dans le jeu, et les références sont légions. Petit point bonus pour les doubleurs, qui comme à chaque épisode semblent vraiment prendre du plaisir à faire les cons. Ca contribue grandement à l’atmosphère (d’ailleurs pour faire un mini point contenu, le jeu dispose de 7 voix pour le personnage principal. 7 ! Toutes les lignes du héros ont été doublées par 7 personnes différentes, et c’est à peu près le même nombre dans le 2 et le 3, ça donne une idée du niveau d’engagement du studio pour son jeu). Bref, on pourrait parler des heures du délire humoristique qu’est SR4. Côté gameplay, si le jeu est pas parfait, faut quand même reconnaitre que c’est un défouloir extrêmement jouissif. Nombreux superpouvoirs – grandement pillés sur Prototype mais on va pas râler puisque ça fonctionne -, armes absurdes, possibilité de faire des combos de tout ça ensemble, véhicules en tous genres, alliés, coop (c’est pas une nouveauté dans la série mais ça fait toujours plaisir), des adversaires relativement variés, l’exploitation de l’axe vertical (grâce aux superpouvoirs), de nouvelles activités, des phases de gameplay alternatives parodiques… C’est complètement fou. Enfin, contenu. Ouais, j’ai dit qu’il était fort recyclé, mais il y a du bon à ça. L’éditeur de persos est toujours aussi plaisant à utiliser, les pnj sont variés, les ennemis aussi (on retrouve d’ailleurs beaucoup de clins d’œil aux précédents opus), Bref, c’est du Saints Row, mais la recette prend toujours. Compter une dizaine d’heures pour voir la fin en rushant, un peu plus si vous faites les missions loyauté, et si vous voulez comme moi finir le jeu à 100% vous en aurez pour un peu moins d’une trentaine d’heures. Notez que l’édition GOTY est désormais pas trop chère (20€ le prix de base, avec des soldes de l’ordre de 75% assez fréquentes), donc pour le même prix vous aurez en plus les DLC (Enter the Dominatrix, un contenu scénarisé sur Noël et de nombreux DLC d’armes et de costumes), amenant le jeu à une quarantaine d’heures à mon avis.
Quand je lis les critiques négatives sur ce jeu, je retrouve plein de termes du genre « inutile » (les véhicules ou alliés), « too much » (l’humour), « bâclé » (le scénario) « brouillon » (le jeu dans son ensemble)… Si vous voulez. Je vais pas dire le contraire, tout ça est vrai. Mais… mais c’est ça le délire Saints Row, et il en a toujours été ainsi depuis que je suis cette série (osez, osez juste dire que ces qualificatifs ne s’appliquent pas au 2 et au 3). Du coup, je me répète je sais, mais je ne comprends pas pourquoi on critique cet épisode en le comparant aux précédents. Le délire est le même, ils vont juste un peu plus loin à chaque fois, parce que sinon ça vaudrait pas la peine de claquer son fric dans le même jeu encore et encore. Donc soit ceux qui critiquent le jeu sous ce prétexte n’ont jamais accroché à ce délire et sont donc de mauvaise foi en se référant aux précédents opus, soit ils sont simplement fatigués du trip, mais il n’a pas changé. Plus de guerre des gangs ? Mais vous appelez quoi, « guerre des gangs » ? Les ennemis qui se baladent dans les rues et les territoires à reprendre ? C’est toujours présent dans SR4. J’aurais bien aimé qu’il y ait plusieurs factions, ça oui, mais bon c’est pas la mort non plus, les fondamentaux sont toujours présents. En ce qui concerne l’inutilité des alliés et des véhicules, c’est justement ça qui les rend tout à fait incontournables. Être omnipotent et se balader en camion-benne parce que FUCK, poursuivi par des motos volantes, c’est génial. Escalader un building et voir un allié s’y matérialiser à vos côtés parce que le couillon savait pas vous suivre, c’est génial (citez-moi un seul autre jeu où vos alliés peuvent vous suivre dans ce genre d’endroits). L’humour est too much ? Sorry mais qu’est-ce qui vous fait rire vous alors ? Le premier degré pipi caca ? Ou le second degré pédant consensuel ? Ca fait un bout de temps que la parodie est passée à un niveau supérieur, désolé de vous l’annoncer. Si ça vous plait, tant mieux. Mais il est évident que le mauvais humour des personnages est à prendre avec trois degrés de décalage au moins. Saints Row 4, quoi que vous en disiez, est raffiné d’un point de vue humoristique, il suffit de voir le timing de certains passages bien précis pour réaliser que les développeurs ont du feeling à revendre. Le scénario est bâclé, le jeu brouillon ? Bof. C’est clair que le jeu manque de finitions, si vous voulez vraiment chipoter. Et le scénar n’est pas extrêmement original, tout comme 99% de la production culturelle mondiale, c’est vrai. Mais il contient ses moments d’anthologie, et il s’efface devant l’absurdité salvatrice de l’ensemble.
Alors oui, Saints Row 4 n’est pas pour tout le monde, je le conçois parfaitement et n’essaie pas d’imposer mon avis. Faut pas être tout juste dans sa tête pour prendre son pied devant un truc pareil. Mais de nos jours, qui est juste dans sa tête ? Allez, pétez un coup, et venez donc en tenue SM m’aider à faire gonfler des aliens comme des ballons de baudruche, juste pour le fun. On en profitera pour découper des mascottes au sabre laser.
Si vous voulez mon avis, la licence SR, y compris cet épisode qui lui fait honneur, est une des meilleures choses qui soit arrivée au jeu vidéo ces dernières années. On sent les développeurs qui aiment se faire plaisir et faire plaisir à leur public.