Un pire cauchemar

Oui, George Orwell a vraiment dû être un grand observateur et analyste de son époque. On comprend son regard sur le monde en 1948, au sortir d’une guerre mondiale, après la révélation du nazisme, après l’explosion de deux bombes atomiques, et devant l’émergence de deux grandes puissances opposées, américaine et soviétique… Il construit alors un roman d’anticipation sur l’avènement d’un terrifiant monde totalitaire, Big Brother is watching you.
Il y a beaucoup de descriptions, d’explications, pour comprendre l’organisation de ce monde nouveau et le fonctionnement de la société et des individus. C’est parfois lourd et lent à lire et effectivement alors, le lecteur n’est que spectateur. Au début de l’histoire, on observe un peu incrédule la vie terne du personnage central, Winston Smith, strictement dirigée et surveillée. Pourtant, ce livre est un piège. Insensiblement, le lecteur s’engage sur le chemin de Winston en prenant fait et acte pour lui…
C’est là que la démonstration est parfaite : « Pour diriger et continuer à diriger, il faut être capable de modifier le sens de la réalité ». La méthode de manipulation est appliquée comme un rouleau compresseur pour mettre en place une société strictement hiérarchisée et des individus sous contrôle. Tout est construit pour éliminer les libertés et les émotions individuelles. Jusqu’à l’invention d’une novlangue, réduisant le vocabulaire et le sens du langage aux volontés et besoins du régime, et dont la finalité est que « toute idée hérétique sera littéralement impensable ».
Peu importe la Cause, peu importe le Leader, et finalement, peu importe le lieu et l’époque. C’est magistral et implacable. Et aussi juste que si ce livre avait été écrit en 2015. Je suis sortie de cette lecture glacée de réaliser que le scénario n’est pas absurde. Il suffit d’abord d’une Cause, une conviction de race supérieure ou un fondamentalisme religieux par exemple. Il suffit ensuite de moyens techniques de contrôle, et l’informatisation et les réseaux de communication offrent aujourd’hui des perspectives infinies. Le système de duperie mentale que Orwell nommait la double pensée existe déjà. La conscience, la vigilance et la résistance existent encore… pour combien de temps ?