24 h après avoir acquiescé à la requête du général de Gaulle de présider la Cour Militaire de Justice en charge des mutins d'Alger, le général de Larminat se tire une balle dans la tête. Gaullistes et antigaullistes se disputent sur l’interprétation à donner à son geste. Les premiers évoquent la lassitude et la maladie, les autres un acte d'insubordination. Le cardinal Feltin lui refuse des obsèques religieuses, ce qui semble exclure l’hypothèse de la dépression. Il semble que l’ancien rebelle ait refusé de passer du côté des bourreaux. Il nous laisse des Mémoires où le vieux soldat manie la plume et la vacherie avec un égal talent.


L’on peut discuter sur le suicide, pour des raisons morales ou religieuses. Tout compte fait, l’on ne sait pas ce qu’en pense le Bon Dieu. Mais j’estime que le suicide militaire mérite un grand coup de chapeau.
Est célébrée comme exemplaire, à juste titre, la mort de Roland Morillot, qui coula volontairement avec son sous-marin en Adriatique, en 1915. Il y a, depuis, un "Roland Morillot" dans la marine française ; il faudrait qu’il y ait aussi un "Bertrand de Saussine" Aussi bien n’est-il pas mauvais de rappeler aux officiers du grand corps qu’un commandant est, de sa personne, solidaire de son bâtiment, quoiqu’il arrive ; ne serait-ce que pour interdire la pratique dégradante du sabordage sans risques.
(p.202-203) Avouons que peu de marins rejoignirent la France Libre.


Bien qu’admis à Saint Cyr, Edgard court s’engager dès la guerre (de 14) déclarée. Blessé trois fois, le déjà capitaine de Larminat échappe à l’hécatombe. Le colonel est parmi les premiers à rejoindre Londres en 40. Vichy le condamne à mort, par contumace. Il commande une brigade en Afrique du Nord, une division en Tunisie, un corps d’armée en Italie et en France. Ses rapports avec de Lattre sont exécrables : Larminat demande rien moins que la tête de son supérieur. De Gaulle le casse et lui donne, en lot de consolation, le Front de l'Atlantique. Il laissera bêtement raser Royan, mais termine la guerre sur une victoire. Ses mémoires sont hélas introuvables, mais, ne refusant aucun sacrifice, je vous ai copié un second extrait, heureux fripons.


Quand à Naples, en août 1944, nous préparions le débarquement, le marin adjoint technique de de Lattre eut une idée. J’avais été au lycée à Troyes avec son frère aîné, qui fut tué comme tant de mes contemporains vers 1914, 15 ou 16. Le marin était du genre lugubre et ennuyeux. Le pire était qu’il voulait se rendre utile !...
Un beau jour, il vint expliquer à de Lattre qu’il était technicien des Maures où l’on allait débarquer, et qu’il pouvait certifier que, dans ce pays d’incendies de forêts, la bataille serait compromise par les feux que ne manqueraient pas d’allumer les obus, à moins que l’on ne supprimât préalablement la matière première, les arbres.
Sa technicité n’allait pas au-delà de celle du touriste qui a parcouru les Maures. A ce point de vue, j’en savais autant et plus que lui, car les coloniaux disputent au marin l’agrément de tenir garnison à Toulon. Je ne sais au juste comment, étant marin, il justifiait l’inconvénient de la fumée pour l’assaillant, dans un combat à terre. Il devait y avoir une subtile combinaison de vents plus ou moins tournants, de celle qui, avec les courants, les marées, les fonds, etc, permettent à tout marin conscient et organisé de condamner toute opération de prise de terre. A quoi nul ne verrait d’inconvénient s’ils voulaient bien dans ce cas rester en mer définitivement.
Son cancrelat rencontra un champ de course exceptionnel chez de Lattre dont le tempérament dramatique s’enflamma aussitôt. « C’est une grave responsabilité que de détruire ainsi un capital national. Il le faut, je la prendrai, c’est pour la patrie, etc. »
Consulté, je fis remarquer que je n’étais pas sûr que la fumée dût gêner plutôt l’assaillant que le défenseur, et que c’était surtout un problème de vent, dont les éléments étaient peu prévisibles. J’ajoutai qu’il me paraissait imprudent de signaler à l’avance la zone de débarquement en la ratissant à l’avance par le feu.
Poussières… Qu’à cela ne tienne ! On brûlerait toute la côte, des Alpes aux Pyrénées, comme cela l’ennemi serait « déceptionné ». A partir de ce moment, je fus rassuré.
M’en allant faire visite à Naples au général de corps américain que nous suivions au débarquement, je le trouvai perplexe sur le sujet. Je lui donnai mes idées, sans insister, car je sentais que la chose était entrée dans la zone supérieure où les vents du possible et du sens commun sont dominants.
Cela se passa en deux temps. Dans le premier, les aviateurs (américains) qui couvraient l’opération, après avoir fait un calcul de surface et fouillé leurs poches, certifièrent qu’ils n’avaient pas en bombes incendiaires de quoi brûler le dixième de ce qu’on demandait.
Puis intervint le lieutenant-général Sir Maitland Wilson qui commandait le groupe d’armées. On l’a toujours appelé Jumbo en raison de sa corpulence et de son petit œil. Ce digne gentleman fut syncopé à l’idée qu’il pourrait être le responsable de la destruction d’une matière végétale aussi respectable que des arbres, et dans les Maures encore ! Et le non – I repeat no – fut posé.
Le drôle est que cette année-là, il avait plu beaucoup et tard et que le tapis forestier – j’ai eu à m’occuper d’incendies de forêts quand je tenais garnison à Fréjus – était humide. Ce qui fait que nous eûmes beau mettre à terre, à travers les Maures, une centaine de milliers de militaires américains et français, qui commirent toutes les incongruités habituelles : cigarettes, allumettes, feux de cuisine etc…, les Maures se refusèrent énergiquement à prendre feu. Il y eut bien un petit incendie au-dessus de Saint-Tropez, nul ne s’en occupa et il s’éteignit tout seul.
Mais, tout de même ; je pense qu’il serait équitable d’ériger en forêt des Maures, près de l’Auberge du Dom, une stèle dédiée :
« A sir Maitland Wilson, dit Jumbo, qui sauva la forêt des Maures. »
(p. 242-243)

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le 19 oct. 2016

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Step de Boisse

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