Une plantation de canne à sucre, à une cinquantaine de kilomètre de Baton Rouge en Louisiane, au crépuscule des années 70. Ambiance « grand sud » avec un zeste de Faulkner et un autre de Steinbeck. Et un petit quelque-chose de Réginald Rose et de ses douze hommes en colère.
En plein midi, un coup de feu a retenti. Un homme gît dans les hautes herbes, mort, le flanc déchiré par une volée de plombs. Beau Boutan : un blanc, un cajun de la famille qui exploite les terres de la plantation Marshall. Mathu, un octogénaire à la peau d’ébène tient un fusil au creux de ses bras. Le moins qu’on puisse dire, c’est que toutes les apparences sont contre lui. Et même Candy Marshall (la trentaine), copropriétaire du domaine depuis le décès de ses parents est persuadée de sa culpabilité. Car Mathu est un homme fort, indépendant qui ne s’est jamais laissé marcher sur les pieds par les blancs. Le seul homme à des lieues à la ronde à avoir les couilles d’épauler son arme et de faire feu sur un cajun.
Mathu, que Candy considère comme son père ; car c’est lui et mademoiselle Merle (blanche) qui l’ont élevé à la mort du couple Marshall, tué dans un accident de la route. Or, si le vieil homme est reconnu coupable et arrêté, il sera immanquablement condamné et exécuté. S’il n’est pas capturé avant et lynché par la famille endeuillée en mal de vengeance. Dans le coin, on n’aime pas beaucoup les noirs tueurs de blanc. Ici, le Ku Klux Klan est encore très actif.
Aussi, désireuse de le sauver à tout prix, la jeune femme envoie un jeune garçon faire le tour des quartiers pour demander aux hommes de venir rapidement devant chez Mathu. Et de venir muni d’un fusil de calibre douze avec, à l’intérieur, une cartouche de 5 venant d’être tirée. Tous vieux et fatigués (les jeunes sont partis sous d’autres cieux plus cléments), ils répondent à son appel et se regroupent sur le lieu du crime. Car ils ont été lâches toute leur vie. Car ils ont toujours courbé l’échine. Car ils ont tous vu un de des leurs être brutalisé, sans réagir, sans jamais venir à son aide. Car ils ont tous rêvé de riposter sans jamais trouver le courage de passer à l’acte. Car Mathu et Candy sont respectés.
Lorsque le shérif Mapes arrive sur les lieux, ce sont quinze ou dix-huit personnes qui s’accusent du crime – Candy en tête. Quinze ou dix-huit personnes à avoir un puissant mobile et dans les bras une arme identique à celle utilisée par le tueur. Situation ubuesque que Mapes doit démêler avant que les blancs ne viennent réclamer le coupable.
A quelques scènes près, ce court roman est un huis-clos d’une rare profondeur. Un face à face entre des hommes issus de l’esclavage et les blancs qui à leurs yeux représentent le pouvoir, l’autorité, les mauvais traitements et les jugements expéditifs. Des hommes qui, au soir de leur vie, n’ont plus rien à perdre et qui, pour la première fois, osent parler et mettre des mots sur leurs souffrances quotidiennes. Mais ce n’est pourtant pas un grand déballage car chaque orateur expose ses griefs avec beaucoup de dignité et dans un silence quasi religieux.
Ernest J. Gaines (écrivain noir né en Louisiane et nommé pour le Nobel de littérature en 2004) a su éviter tout manichéisme. Il n’est pas là pour régler un compte personnel avec la population blanche, mais plutôt pour dresser le tableau des tensions qui perdurent encore entre les différentes communautés dans cette région des Etats-Unis. Le livre est magnifiquement écrit et respecte l’accent local. Les personnages sont dépeints avec justesse dans leur faiblesse et dans leur force, sans artifice et sans excès. Une grande découverte.
Superbe !
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le 11 juil. 2013

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