« ... et il ajouta : C'est ainsi que tu répondras aux enfants d'Israël : Celui dont le nom est JE SUIS m'a envoyé vers vous » (Exode 3)


J’aime imaginer la stupéfaction d’un interlocuteur (totalement fictionnel, cela va de soi) réagissant à l'ambition déclarée du livre : « Quoi ? Démontrer rationnellement l’existence de Dieu ? Ridicule ! On ne va tout de même pas en revenir à des conceptions pseudo-scientifiques invalidées depuis longtemps par la Science moderne ! La métaphysique ? Une escroquerie construite sur du vent, qui prouve tout et son contraire. Cette fumisterie qui s'est ridiculisée il y a bien longtemps avec ses débats enflammés pour savoir combien d’anges pourraient danser sur une pointe d’aiguille ! La science moderne est plus utile et plus adulte, voyez : il est à présent démontré que le cerveau est un super calculateur et que nos actions sont programmées par des algorithmes inconscients ».


Cette critique sera longue mais possède une ambition somme toute assez modeste : après l’avoir parcourue j’espère seulement que mon lecteur reconsidérera cette discipline, la "métaphysique". En raisonnant de manière à peu près rigoureuse voyons donc si on peut aboutir au "monstre en spaghetti volant" et autres joyeusetés comme nous l’affirment les pourfendeurs de la "théologie naturelle"…



La métaphysique



Bon, commençons par une question simple : c’est quoi la métaphysique ?


Les définitions sont historiquement multiples et changeantes. Pour le besoin du développement qui va suivre la mienne sera brève : la métaphysique désigne la branche de la philosophie qui s’intéresse à la question de l’Être. En gros, "Pourquoi existe-t-il quelque chose plutôt que rien ?". C’est une "ontologie". A priori, sauf à vivre comme un légume, tout être humain normalement constitué s’est au moins posé une fois ce genre de "question", même de façon un peu vague. A défaut d’être posée comme telle, elle est au moins entraperçue par le commun des mortels.


Mais avant d’aller plus loin écartons deux objections communes :



  • « Je ne comprends pas cette question. L’Univers existe, c’est tout. Pourquoi lui demander des comptes ? ». Derrière cette assertion en apparence anodine se cache en réalité une hypothèse lourde en implications métaphysiques : l’Univers est l’Être nécessaire, celui-ci existe par lui-même. Son existence ne fait pas question. On y reviendra plus loin. Or, rien ne permet d’affirmer a priori, sans examen préalable, que l’Univers est nécessaire. Cette objection saute directement aux conclusions.

  • « Vous attribuez des pouvoirs insensés à la raison humaine : la question existe mais elle restera sans réponse à tout jamais. Vous appliquez le principe de causalité en dehors de son domaine de juridiction ». Réponse agnostique par excellence, la préférée de notre époque (qui se croit pourtant "rationaliste"). Kant l’a soutenue à un très haut niveau philosophique : la raison s’empêtre dans des contradictions insolubles dès qu’elle s’aventure au-delà de son domaine (les "antinomies de la raison pure"). Depuis Kant la métaphysique serait donc morte, fin de l'histoire. C’est très personnel mais je ne me fierais pas inconditionnellement à l’épistémologie d’un philosophe qui base son argumentation sur l’idée que l’espace, la causalité et le temps n’existent que dans l’esprit humain (les "catégories a priori de la raison pure"). Ce qu’il nomme les "choses en soi" (les "noumènes" par opposition aux "phénomènes") n’existent donc pas spatialement, temporellement et sont dépourvues de lien de causalité. Allez savoir pourquoi, Kant nous affirme par la suite que les "noumènes" sont la cause des "phénomènes" (bref, je ne veux pas être mauvaise langue, je vous laisse creuser la question. 800 pages imbitables sur la "raison", je vous souhaite tout de même bon courage...).



La causalité



Une fois écartés ces deux obstacles, voyons d'abord (sommairement) où nous mène une réflexion philosophique sur la causalité.
Or, et c’est là le (premier) piège, le croyant affirmera naïvement un peu vite « Tout a une cause. Qui donc a causé l’Univers ? ». L’athée répliquera : « Si tout a une cause, qui a causé Dieu ? ». Match nul. Or, il n’est pas évident a priori que tout puisse avoir une cause. Car, en réalité, si tout possède une cause on s’achemine vers des absurdités logiques. Si tout a une cause, rien n’a une cause. C’est l’idée de l’impossibilité d’une régression à l’infini développée par Saint Thomas il y a bien longtemps. Il ne peut y avoir de chaîne causale infinie. Tout cela peut sembler bien obscur : choisissons une métaphore plus parlante. Expliquer un phénomène par une causalité infinie c’est un peu comme si on voulait rendre compte du mouvement d'un wagon d’un train en marche par le fait que celui-ci est tracté par le wagon précédent et ainsi de suite infiniment. On comprendra aisément que même en alignant à l’infini les wagons on ne fait que déplacer le problème sans jamais vraiment expliquer quoi que ce soit. Il faut nécessairement briser la chaine, il faut une locomotive. La causalité c’est un peu pareil : sans "cause incausée" (ou "cause première" si vous voulez) impossible de rendre compte logiquement de la causalité. Vous ne faites que reculer le problème d'un cran. C’est aussi ça la métaphysique : une confiance forte, mais sereine, dans les pouvoirs de la logique (ce qui est logiquement absurde ne peut exister). L'idée de "causalité infinie" rejoint celle de "cercle carré" : c'est une contradiction dans les termes, un concept vide de sens qui ne peut avoir d’existence empirique.



La cause première



Vient alors le second piège, plus pernicieux. Grande est la tentation d'affirmer d'un ton péremptoire que cette cause première est Dieu, le Dieu transcendant des monothéismes (ou du Déisme). Mais qui dit "cause incausée" ne dit pas forcément Dieu. Effectivement, qu’entend-on par "cause incausée" : l’Univers dans son ensemble ? Une partie de l’Univers ? La matière-énergie ? Un être extérieur à l’Univers ? Rendu à ce point du raisonnement on ne fausse donc pas compagnie aux "matérialistes", mais plutôt aux "scientistes" : la causalité est un principe consubstantiel de la science (n’en déplaise à ceux qui ne comprennent rien à la physique quantique).


Ici il faut légèrement affiner les concepts : la "cause première" est une cause dite "nécessaire". Elle existe par elle-même (ne disons pas qu'elle est "cause de soi" comme Descartes, c'est une erreur sémantique source de confusion). Dépourvue de tout lien de dépendance elle ne peut pas ne pas "être" : son essence se confond avec son existence. Les êtres causés, eux, sont dits "contingents", ils auraient très bien pu ne pas "être". Ultimement, les êtres contingents reçoivent donc l’existence par la cause nécessaire. Nuance importante : la "cause incausée" n’est pas "première" dans le temps mais dans l’Être (ne pas confondre origine et commencement, le big bang n’est pas la "Création"). Pas d’êtres contingents sans un être nécessaire, donc.



Les métaphysiques principales



Voilà qui est fait. A partir de raisonnements un peu abruptes (la métaphysique est parfois austère), ajoutons quelques réflexions philosophiques sur la science, et on retombe parfaitement sur nos pieds : c'est à dire face à l’éventail très réduit de possibilités, de conceptions philosophiques du monde qui s’opposent depuis la nuit des temps. A savoir :


1/ L’Univers dans son ensemble est l’Être nécessaire, absolu, possédant l’existence "par soi". Ajoutez lui l’Infinité, l’Eternité et une intelligence immanente (questions relevant de la philosophie des sciences) et on obtient tous les attributs que les théologiens ont toujours octroyés à Dieu. C’est la tradition du panthéisme, idée philosophique vénérable, la plus ancienne connue par l’humanité. Idée défendue par Aristote, Parménide, Spinoza et les grandes religions orientales.


2/ L’Univers dans son ensemble est l’Être nécessaire. Mais il n’existe pas d’intelligence immanente. Le hasard gouverne tout. Pour rendre compte de l’existence d’êtres pourtant hautement organisés il faut donc absolument postuler un temps et une matière en quantité infinie (pour une combinaison infinie des possibles). C’est la solution historiquement adoptée par Démocrite et Epicure , "l’atomisme" antique (ou "matérialisme mécaniste"). La seule métaphysique entièrement athée à mon sens. Idée recyclée ensuite avec l’avènement de la mécanique moderne aux XVIIe et XVIIIe siècles chrétiens. Descartes accolera cette cosmologie avec l’idée d’un Dieu architecte, créateur des "lois de la nature" : c’est le "Dieu horloger" de Voltaire et des Déistes. L'atomisme, malgré les apparences, est en contradiction avec la science moderne.


3/ La troisième possibilité est en fait une sorte de "bricolage" des deux premières, une réintroduction clandestine de l'intelligence dans la matière : celle-ci est "auto-créatrice" ("dialectique" et non "mécanique" dirait Engels dans "Dialectique de la nature"), elle est capable par ses propres ressources de se donner elle-même la vie, la conscience, la raison, l’humanité, l’art, etc… Cette solution, adoptée plus ou moins par le marxisme, s’est construite au XIXème siècle dans le sillage de la théorie de l’évolution de Darwin. Le marxisme, panthéisme inconscient de lui-même ?


4/ L’Univers est entièrement contingent, il ne suffit pas à rendre compte par lui-même de sa propre existence. L’Être nécessaire transcende l’être contingent. C’est ce qu’on nomme la "métaphysique de la Création", adoptée historiquement par le judéo-christianisme et l'Islam.


5/ Finissons par le lot des métaphysiques que je qualifierais de trompeuses (pour rester poli) : Descartes et son argument ontologique (construit en partant de la subjectivité du cogito, reprise de l'argument de Saint Anselme (cf ici). La palme revenant peut être à Sartre (toujours garder le meilleur pour la fin !) : l’Univers est entièrement contingent. Mais il n’existe pas d’Être nécessaire. L’Univers n’a aucune raison d’exister, il est inexplicable, "en trop" (La Nausée et l’Être et le Néant). Cette philosophie se passe ici du "principe de raison suffisante", en gros de la bonne veille logique. "L’absurde" n’est pas seulement une philosophie de l’existence humaine mais aussi un discours métaphysique (peut-être inconscient de lui-même) décidant de se passer de la raison.


Existe-t-il un moyen de départager ces visions du monde ? En gros, comment identifier contingence et nécessité ? Une recherche philosophique sur les sciences et les caractéristiques départageant contingence et nécessité me paraissent être de bonnes pistes de réflexion. Petit jeu : essayez, par vous-même, de trouver des objets empiriques qui ne sont pas contingents. Pour un embryon de réponse à toutes ces questions je vous invite nettement à lire le livre.


PS : Au cas où vous vous interrogeriez « Si on peut potentiellement démontrer l’existence de Dieu quel est l’intérêt d’avoir la foi ? N’est-ce pas même contraire à la foi ? » C’est que vous n’avez vraisemblablement pas compris ce que peut bien signifier avoir la "foi". Pour rappel, chez les catholiques le fidéisme fut condamné par l’Eglise en 1838.

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le 28 août 2021

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P. b.

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