Ce que tu dis là, homme respectable, est la vérité ; mais, une vérité
partiale. Or, quelle source abondante d’erreurs et de méprises n’est
pas toute vérité partiale !
(Lautréamont, Les Chants de Maldoror)
Le ton de cette biographie romancée consacrée à l’auteur des Fleurs du Mal paraît donné dès la quatrième de couverture : "si l’œuvre éblouit, l’homme était détestable".
On pourrait donc logiquement penser que Jean Teulé va s’attacher à démontrer la véracité de cette double proposition. Force est de constater qu’il va surtout en privilégier la seconde partie pour dresser du poète un portrait au vitriol que n’auraient pas renié ses pires détracteurs.
Teulé affirme volontiers que "tout est exact" dans ce qu’il a écrit. Il nous dépeint un être immonde (plusieurs fois comparé à un rat) drogué jusqu’à la moelle, voleur, manipulateur, vantard, lubrique, vérolé, sadique, orgueilleux … Alors certes, tout est vrai, encore qu’amplifié complaisamment et de manière fort peu poétique. C’est souvent sordide, comme ces scènes de débauche sado-maso qui plairont aux plus égrillards. C’est parfois ridicule, à l’image de ces dialogues qui reprennent mot pour mot des citations sorties de leur contexte et rendent le discours artificiel au possible. C’est presque toujours caricatural et surtout terriblement lacunaire.
Ah non, il ne suffit pas de juxtaposer des anecdotes croustillantes ou abjectes, même si elles sont vraies (ou plutôt, qu’elles pourraient l’être), même si elles couvrent l’entièreté d’une existence pour dresser un portrait fidèle et complet.
Alors certes l’homme est misanthrope et plus encore misogyne. Mais réduire la plupart de ses relations aux femmes à des parties de jambes en l’air où domine l’amour vache, c’est racoleur et malhonnête. Feindre de croire que le dandysme dénote une simple affèterie sans chercher à saisir la nature de ce qui était pour le poète une véritable ascèse, ça peut donner quelques scènes cocasses propres à réveiller les cancres du fond de la classe. Mais Baudelaire est un être complexe et torturé et pas seulement le garnement aux provocations puériles qu’on nous sert ici. Chercher à comprendre et à évoquer, même de loin, l’essence même de son génie poétique, c’est ce à quoi Teulé ne s’emploie pas, ou si peu. Le spleen baudelairien, cette exploration désespérée d’une misère humaine qui nous concerne tous ? L’intuition lumineuse des correspondances qui ouvre la voie de la modernité ? De simples effets secondaires de la confiture au hashish et du laudanum dont le poète use et abuse. Mouais …
Alors, pourquoi ce parti pris de superficialité ? Pourquoi cette volonté de railler sans contrepartie ? Pourquoi mettre systématiquement en avant le glauque, le sordide ? Il se peut du reste que le poète maudit, qui aimait les outrances et pour qui l’exhibition était une seconde nature, n’eût pas dédaigné cet hommage peu révérencieux. Mais si Baudelaire appréciait le scandale, il savait que parfois, « le scandale rapporte (1) ». Transformer l’intime en spectacle, grossir les travers d’un homme, ses vices et ses turpitudes pour en faire un objet de divertissement n’est plus hélas l’apanage de la presse à scandale et de la littérature de caniveau. Ce qui fait vendre aujourd’hui, ce sont les détails triviaux qui émoustillent. Et la facilité qui cherche avant tout à plaire et divertir, en reléguant hors-champ la complexité qui requiert analyse et réflexion.
Au final, un bouquin certes pas désagréable à lire, qui a par ailleurs le mérite de nous plonger dans une époque que personnellement j’aurais aimé connaître, dans ce Paris du Second Empire en pleine transformation haussmannienne (mais pourquoi diable s’être contenté de faire de la Ville un simple décor alors que le poète c’est une source d’inspiration quotidienne ?) Toujours est-il que je reste sur ma faim, tant cette vision partielle et partiale reste éloignée du mystère Baudelaire.
- "Dieu est un scandale, un scandale qui rapporte". (Baudelaire, J*ournaux intimes*)