Traduit en justice
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Crime et châtiment, Dostoïevski
Voici le roman de Dostoïevski que la postérité nous aura légué comme son plus célèbre et somme toute, comme le plus accessible parmi les 5 grands. Il est connu qu’à l’époque de sa sortie, à Saint-Pétersbourg, la réaction principale à sa lecture était l’angoisse doublée de sueurs froides. A l’époque, un élan de sympathie envers les criminels s’illustrait par le succès de la fameuse « théorie du milieu ». Pour faire simple, les actes d’un individu, crime compris, sont en grande partie conditionnés (et donc justifiables) par son milieu.
Dans ce chef d’œuvre de ce qui sera la sociologie compréhensive, l’auteur va démontrer que non seulement une telle théorie ne justifie rien, qu’un crime reste un crime et que celui qui doit réclamer avec véhémence le châtiment est le criminel.
Voici deux axes d’approche du cheminement de notre héros, le jeune étudiant Raskolnikov : une fuite étourdissante de la société et de la justice, et une attirance métaphysique vers le châtiment, seul accès possible vers la rédemption. Le péché : cette vieille usurière que toute la logique du monde voudrait voir morte et enterrée pour le bien de l’humanité. La rédemption : La jeune Sophia, prostituée par son père et pourtant lumineuse dans cette ville de crasse et de misère.
Voilà l’intrigue sur laquelle, Fiodor Dostoïevski va construire un roman policier psychologique. Fidèle à une conception individualiste méthodologique, l’auteur part d’un fait divers pour nous parler d’une vaste notion, le meurtre ainsi que ses conséquences : culpabilité, fuite, angoisse, peur.
Roman policier car on assiste à la construction d’une intrigue basée sur le meurtre de cette vieille usurière antipathique et sur la recherche du criminel. Sauf que le criminel est notre héros. Depuis le début jusqu’à la fin, nous le suivons, nous savons ce qu’il a dans la tête et dans le cœur, nous connaissons tout de lui jusqu’aux motivations de son grave péché.
Roman psychologique car nous assistons à la décomposition mentale du meurtrier parallèlement à son incroyable succès à échapper à la justice et à son terrible bourreau : l’excellent, Porphiri Petrovitch, personnage Dostoïevskien en tout point. Ambigu et cynique, impossible à cerner, il sonde l’âme souillée de notre héros par ses entretiens tortueux. L’atmosphère lourde de ses interrogatoires, d’une efficacité redoutable rappellent en permanence à Raskolnikov que le plus sévère et le plus terrible de tous les châtiments est au fond de lui. Nous comprenons que le malaise ambiant qui suinte des nombreuses pages de l’œuvre vient de ce thème cher aux grands mystiques russes : la culpabilité.
L’auteur aurait pu s’en tenir, pour signer son chef d’œuvre, à ce roman policier incroyablement inquiétant mais il en profite aussi pour dépeindre en même temps un portrait réaliste, voire surréaliste, et noir de la ville de Pierre. Les ruelles sont sombres, étroites. La chaleur de l’été est aussi étouffante que le poids du remords. Les appartements sont sinistres, les habits sont sales. Les protagonistes évoluent en funambules entre la misère et la folie tout en sombrant dans l’alcool comme pour mieux accélérer leur descente aux enfers.
La fin, en explosion resplendissante et spirituelle, propre au peuple russe nous offre, comme une grande bouffée d’air frais, un dénouement fatal mais soulageant. Le retour à la terre : cette notion propre aux grands espaces, très présent dans la littérature slave est magnifiquement représenté dans ces dernières pages.
Le malaise est bien présent tout au long de l’œuvre, on le ressent par une empathie inévitable pour Raskolnikov et son déclin intérieur. Pourtant, à chaque fois que l’on relève la tête du livre, il n’y a que la force de l’écriture qui reste et une terrible jubilation de ne pas être acteur de cette macabre aventure. Crime et Châtiment, ouvre pour son auteur le cycle des 5 monuments qu’il va livrer à la littérature pour finir en apogée dans le panthéon des plus grands.
Créée
le 16 mai 2017
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