Quand l'extrême droite commence à grignoter SensCritique

Si, comme moi, il vous arrive de guetter les noms d'auteurs, journalistes ou personnalités sulfureuses issues des sphères de l'extrême-droite ou de la frange complotiste, pour vérifier la qualité d'une source, SensCritique est devenu depuis quelques temps un vivier abondant. Pensez qu'en moins d'une semaine de vigilance, j'ai pu croiser les noms de Charles Maurras, Pierre Boutang, Henri Delassus, Hervé Ryssen, Jean Sevilla, Louis-Ferdinand Céline (version "Bagatelle pour un massacre"), Alain Soral, Olivier Maulin, Robert Brasillach ou Lucien Rebatet.


Cette avalanche de personnages flirtant (c'est-à-dire au minimum sympathisants) ou totalement convaincus par une forme tristement connue de radicalité politique pourrait tout à fait avoir sa place sur le site, si elle était accompagnée d'un regard critique ou historique. Le problème ici, c'est que ces mentions sont à chaque fois accompagnées d'un "j'aime", de critiques laudatives et de commentaires énamourés.


Bien entendu, on peut considérer que tous ces auteurs sont parfaitement fréquentables, que l'intolérance ne doit pas les concerner (alors qu'ils en font commerce ou y ont dédié leurs vies) ou qu'au nom des libertés, chacun doit être libre de ses affinités. Si tel est votre sentiment, ce n'est pas la peine de poursuivre plus loin la lecture de ce texte d'avertissement. (Ni d'ailleurs de me lire en général.)


Une dizaine (a minima) de membres du site font donc étalage de leurs préférences politiques, soit d'obédience directe d'extrême-droite, soit proche d'une forme de fondamentalisme religieux, soit enfin anti-démocratique (et parfois tout ça à la fois).
Ce n'est pas le lieu ici d'étaler les noms, ni de fournir les preuves.
Si la chose vous intéresse, je tiens à votre disposition (en MP ou par mail, plus pratique pour les liens) les exemples factuels, les preuves accumulées (à base de captures d'images ou de liens) de ces liaisons dangereuses irréfutables, fruit d'un petit travail de collecte de sources me rappelant mes études universitaires.
Une semaine de surveillance (sources 1 à 8, puis 12) et un ou deux retours sur des publications plus anciennes évoquées (sources 9 à 14) ont suffi à fournir une assez copieuse matière.
(Les liens wiki de tous les auteurs évoqués en intro sont aussi joints à cette liste.)


Le choix de ne pas produire ici les noms de membres actifs sur le créneau de la droite la plus absolue poursuit au moins deux buts:
1) ne pas donner l'impression d'une vendetta personnelle (même si ce sont un ou deux anciens "adversaires" de débat et manipulateurs notoires qui m'ont conduit à effectuer cette observation). Ainsi, si vous le préférez, vous pouvez vous contenter de me croire sur parole et être juste sensible au principe général de ma démonstration, en vous en tenant simplement à ce texte
2) garder à l'esprit que c'est surtout l'idée générale qui compte ici, et non les personnes qui pratiquent ce qui ressemble quand même souvent à un double-jeu calculé.


Car en effet, presque tous les membres concernés refuseront d'avouer frontalement leur affiliation politique.
Ce refus se fera d'ailleurs, et ce n'est pas étonnant, selon plusieurs principes que l'on retrouve régulièrement dans les milieux complotistes.



  • La tactique du mille-feuilles: on attaque une multitude de détails pour mieux dissimuler l'idée générale derrière un écran de fumée (par exemple avec mes sources: dire que tel auteur est un ecclésiastique qui n'est pas factuellement en provenance de l'extrême-droite française, pointer que le site KontreKulture.com, où l'on retrouve un des ouvrages critiqué et aimé n'est pas le seul à le faire puisqu'on le trouve aussi sur Amazon ou la Fnac…). Le tout pour ne pas envisager tous ces auteurs (ou faiseurs d'opinion) dans une globalité, alors qu'ils frayent tous dans les mêmes bassins idéologiques.


  • Le discours sur la liberté d'opinion. Fort juste si l'on est coupable d'une ou deux petites faiblesses. Elle devient à mon sens inaudible devant l'avalanche des affinités. On peut en effet bien sûr s'intéresser à la vision réactionnaire de l'abbé Delassus sans l'être soi-même, trouver une certaine justesse dans certaines analyses de l'historien Bainville ou ne pas tenir compte de positions inacceptables de Céline sur la place des juifs en France pour apprécier sa prose qui n'en fait pas mention. C'est bien entendu l'effet d'accumulation qui compte ici.


  • La tactique du tatillon: préciser qu'untel n'est pas nazi, que tel autre n'était pas antisémite ou que le troisième était particulièrement lucide sur les évènements à venir.
    ("D'ailleurs Brasillach était très peu antisémite en comparaison à ses "collégues". C'est un mussolinien, au départ, et Mussolini n'est pas antisémite contrairement à ce que l'on croit." Source n°11)
    Toujours ce soucis du détail qui masque la vue d'ensemble.


  • la tactique de l'assimilation: "puisqu'on nous reproche nos lectures, nos affinités, notre acceptation des thèmes d'extrême-droite, c'est que nous sommes des nazis ! Voyez la courtesse de vue de nos adversaires !" OK, les gars. Admettons que vous ne soyez pas strictement des soldats actifs du troisième Reich. Toujours est-il que vous ne refusez pas complètement toutes les thèses qui ont conduit à l'avènement de ce régime politique (bing, le point godwin !).
    Ou alors "non, nous ne sommes pas fachos, puisque la définition exacte du fascisme vient de fasces et la sévérité des juges de l'époque romaine, bla bla bla…"


  • La confusion de pensée (qui n'est malheureusement pas une tactique): c'est si jouissif de se sentir résistant à une certaine pensée considérée comme unique (sans se rendre compte qu'il s'agit ici d'une autre de ses formes), de ne pas être un mouton (tout en en étant celui d'un autre courant de pensées) qu'on ne comprend tout simplement pas que toutes les résistances ne se valent pas, voire parfois s'affrontent. Certains libres-penseurs emblématiques (ou historiques) admirés auraient justement combattu les idées extrêmes avec lesquelles on entretient désormais une porosité coupable. Pour vous dire, un des membres impliqué dans cette triste bande affiche son affection pour Desproges ou Brassens, artistes qui se retourneraient dans leur tombe s'ils se savaient associés à ce mélange des genres inconséquent (mais j'imagine que les pauvres en avaient vu d'autres, de leur vivant).


  • le refus de la censure: c'est le paradoxe habituel, commun à tous les extrémistes, fondamentalistes religieux (catholiques ou islamiques) que d'utiliser les armes de la démocratie pour les retourner contre elle: tolérance, refus de la censure ou de la dictature. Cette bonne blague.


  • Le retournement d'argument: "oui être d'extrême-droite c'est pas terrible mais franchement, le communisme c'est pas mieux". En oubliant que 1) c'est faux 2) l'un est toujours agissant dans le monde et l'autre inexistant (si ce n'est nominativement) et 3) ou est le rapport ?


  • la tactique du "c'était de l'ironie": on dit tout ce qu'il peut y avoir de plus abjecte. Dès que quelqu'un le relève. Hop ! C'était de l"humour ! T'avais pas compris ? T'es trop con !
    Une méthode Dieudonné approuved.


  • la calomnie: Là encore, nous baignons dans le retournement d'argument propre aux falsificateurs de masse, habitués à modeler les faits à leur avantage. La petite troupe, qui aurait sans doute été abonnée à Je suis partout pendant la guerre (puisque Brasillach -évincé car jugé à un certain moment antisémite trop modéré- et Rebatet -embrassant sans aucun complexe la ligne fortement pro-nazie autour de 1943- y ont écrit) m'accusera sans doute d'acte de délation digne de la milice et des plus sombres heures de l'histoire (dont ils apprécient curieusement les auteurs). C'est tout le contraire ici: je n'ai jamais communiqué avec les instances du site autrement que pour des bugs, et publie avec ce texte au grand jour le travail d'une (petite) enquête, factuelle et étayée, dont les sources sont disponibles, tout en laissant les noms impliqués sous un (relatif mais réel) anonymat.
    (Ils se le diront sans doute entre eux, pour se réchauffer et se sentir ensemble, mais ça n'en sera pas moins -et comme d'habitude- faux)



(le pire, sans doute, c'est que je ne suis pas persuadé que ces membres soient tous profondément ancrés dans cette forme de jusqu'au-boutisme politique. Une petite partie d'entre eux ont sans doute trouvé, en agissant ainsi, une -plutôt triste- façon d'exister sur le site)


D'ailleurs, pourquoi n'avouent-ils pas franchement leurs penchants ?
Pour deux raisons, au moins. D'abord parce que c'est jamais complètement évident, j'imagine, de s'avouer facho sur les bords (et encore moins franc du collier). Ça braque pas mal d'interlocuteurs. Mieux, un ou deux n'arrivent peut-être pas à se l'avouer, et cherchent autant à se tromper eux-même qu'à tromper les autres.
Mais surtout, concernant les plus cyniques d'entre eux, pour permettre une plus grande facilité d'approche. On like les textes des uns, on flatte les qualités d'écriture des autres, on marque ses affinités musicales. Ainsi intégrés et presque indétectables pour qui n'est pas attentif (ou pour qui s'en contrefout), les ponts jetés entre l'extrême-droite politique et la culture au sens large sont discrets. Mais pour autant indiscutables.
(Voire ce commentaire hallucinant d'inculture et de légèreté d'une internaute connue sur le site, par ailleurs enseignante, sous la critique d'un livre de Brasillach: "Merci pour ce touchant et bel aperçu d'un auteur que je connais mal:-)" Glaçant).


Venons-en au cœur de notre message.
La présence de ces membres (et surtout leurs activités) sur SensCritique est-elle un problème ?
Si certains propos tenus sont parfois allés à l'encontre de nos lois (incitation à la haine, homophobie, notamment) et ont pu valoir à certains d'entre eux un bannissement du site, rien de ce que j'ai pu recueillir dans les sources que je vous propose n'est directement condamnable. Dans un monde parfait, il conviendrait pour chacun d'entre nous de déterminer si la fréquentation de ces membres est acceptable ou non, compte-tenu d'un recul et d'une connaissance de cause salutaire. Une connaissance globale de l'histoire, de celle de la pensée politique, et de ce que l'imprégnation d'idées défendues par les auteurs ou penseurs précédemment cités ont pu produire comme déclenchement de violences (directes ou indirectes) ou catastrophes historiques.
Il faut donc a minima que le plus grand nombre d'internautes inscrits sur SensCritique sachent à qui ils ont à faire.
J'espère modestement que ce texte peut contribuer à cette connaissance ou développer les vigilances.


Les deux principaux problèmes sont sans doute ailleurs:



  • ceux de leurs abonnés ou éclaireurs qui ne veulent rien voir.
    Les activités décrites plus haut (mes sources) sont généralement très peu commentées ou relevées par d'autres membres que ceux issus du groupuscule concerné. Comme si la majorité de ces "autres" (disons, les abonnés "neutres") préférait regarder ailleurs quand il s'agit de sujets qui peuvent fâcher. Contre un peu de chaleur (on échange des commentaires insipides, on se fait des risettes complices), pour le gain de quelques likes, on préfère ne pas froisser l'intolérant. Imaginons ce phénomène en d'autres temps pour un peu de beurre et de jambon. La neutralité se transforme en compromission. L'erreur est toujours de croire que certains combats dépendent d'époques révolues.
    On peut parler pour beaucoup (qui se veulent humaniste et très éloignés d'idéologie extrêmes) d'aveuglement volontaire coupable (ou d'inculture crasse).
    Après tout, que tu aimes ouvertement des membres de l'action française, des acteurs historiques de l'antisémitisme français, impliqués dans le régime de Vichy ou fusillés à la libération pour leurs positions, ou d'autres, qui tiennent le même genre de discours aujourd'hui, n'est pas si grave… Tant que tu likes mes critiques.


  • Ceux qui ne voient sincèrement pas l'étanchéité rompue des frontières entre leurs idées humanistes (ou simplement démocratiques) et celles des autres qui y sont ouvertement hostiles, et refuseraient tout compromis s'ils la repéraient. L'imprégnation se fait peu à peu. Les contre-feux idéologiques employés par la fachosphère sont si nombreux que l'essentiel n'est plus visible, et la possibilité d'alerte disparait. On appréciera alors la poésie de tel auteur, sera horrifié par tel reportage dont on ignorera la provenance complotiste, et finira par ne pas comprendre ceux qui viendront combattre une prétendue idéologie cachée derrière tout ça.
    Le drame, au fond, des réseaux sociaux en général.



En guise de conclusion, on pourra se demander s'il est souhaitable ou simplement utile d'avoir mis en lumière, via ce texte, un groupuscule à l'idéologie douteuse, et par la même m'exposer. J'ai gardé le souvenir cuisant de ma critique du dernier ouvrage de Zemmour, dont le but était de contrer le texte plein de sympathie d'un membre du groupe, aujourd'hui de retour sur le site sous un nouveau pseudo après son bannissement. Texte qui m'avait valu son lot conséquent de reproches évitant scrupuleusement le cœur de mon propos (en vrac: critiquer un livre que je n'avais pas lu, parler de politique sur le site, vouloir indirectement attaquer un membre, etc etc…) et n'ai aucun doute sur la cible que je vais représenter désormais pour certains de ces membres. Leur pratique d'attaque en meute est actuellement très active (une ou deux SensCritiqueuses en sont les victimes régulières, pour avoir voulu contrer leurs idées "subversives" -en reprenant par exemple ad nauséam le reproche d'une action supposée coupable vieille de quelques années-, tout en oubliant consciencieusement leurs propres campagnes systématiques de calomnies, dénonciations frauduleuses, trahisons ou mensonges patents. Pratiques de harcèlement en groupe très faciles à repérer en faisant un tour sur leurs profils respectifs, à travers certaines pseudo-critiques ou listes).


Et enfin irriter tous les Chamberlain d'internet qui ne détestent rien de plus que le conflit, fut-il mené contre leur futur bourreau (dans combien de films ou de livres aimés, n'a-t-on vu celui qui dénonce une menace être accusé par les braves gens d'être l'agitateur qui sème le trouble ? En d'autres termes, on va pouvoir me reprocher de foutre la merde, alors que je ne fais que la montrer là où elle est, en espérant que certains éviteront de marcher dedans)


C'est tout simplement qu'il n'existe aucune tactique efficace pour lutter contre les tenants de telles idées (ne rien dire et laisser prospérer ou en parler et donner de l'écho ?) mais le silence général est quand même ce qu'il y a de pire. Ce texte (et surtout ces sources) permettra peut-être pour un certain nombre d'entre vous, qui m'avez lu jusqu'ici, d'exercer un regard critique sur certaines pratiques, ouvrir les yeux sur d'autres et parler avec certains sur SC en connaissance de cause. Je ne demande finalement pas plus (encore une fois, même s'ils parleront de chasse aux sorcières, je ne veux directement bannir personne ici. Juste un peu de lucidité générale).
J'ai également tragiquement conscience que cet avertissement va attirer (ou confirmer dans leur choix) quelques âmes perdues avides de sensations prétendues fortes, surtout si elles existent par procuration. Au moins aurons-nous les idées plus claires sur le compte de chacun.


EDIT: quatre jours après la publication de ce texte, la direction de SensCritique fermait le compte d'une dizaine de membres du site, sans aucun doute suite aux éléments dont j'ai fait mention, mais tout aussi probablement (même si j'en reste au stade des conjectures) à la suite d'une étude plus profonde de leurs activités et des commentaires que certains ont laissé ici (et qui ont donc disparus).
Il n'y a donc pas de bonnes décisions quant au maintien ou non du texte, entre une obsolescence induite et une mise en garde d'ordre général qui demeure. Ayant pour principe de ne jamais rien effacer (textes ou commentaires) et pour ne pas être taxé d'auteur qui n'assume pas les conséquences de ce qu'il, écrit, je prends donc la décision de le maintenir en ligne.

guyness
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le 6 août 2020

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guyness

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