La Billebaude
8.3
La Billebaude

livre de Henri Vincenot (1978)

Les plus de soixante ans se souviennent sans doute de ce petit bonhomme chauve qui hantait tous les plateaux de télévision autour de 1980.
Sa façon de s'habiller soigneusement élaborée pour ressembler tantôt à un artiste, tantôt à un paysan du passé, sa faconde toute bourguignonne, son accent du terroir, faisaient fureur chez nos intellectuels parisiens. Lui-même adorait passer à la télé où il avait toujours de nouvelles anecdotes passionnantes à nous raconter sur sa France profonde avant la mécanisation, vue de Commarin, village bourguignon.


La billebaude est une façon d'aller à l'aventure, au hasard. L'expression est utilisée essentiellement pour la chasse, mais correspond aussi au choix de récit de l'auteur. Si l'on voulait analyser tous les aspects sociétaux, sociologiques, historiques, géographiques, mythologiques, médicaux, gastronomiques, cynégétiques, botaniques ou autres évoqués dans ce livre, il y faudrait plusieurs tomes.
Vincenot se considère, avec tous les habitants de l'Auxois, comme un mandubien, ce tout petit peuple celte dont le nom n'apparait guère que dans le "De bello gallicum" et qui occupait les environs d'Alésia, sa place forte. Il cultive donc des moustaches "à la gauloise", utilise essentiellement les termes bourguignons qu'il pense pouvoir rattacher au celte, négligeant ceux dont les origines sont trop évidemment latines ou germaniques. Pour lui, le peuple est celte, les aristocrates descendant des francs et des burgondes. C'est un raccourci radical.
Mais peux-t-on lui retirer cela? Un homme n'est-il pas ce à quoi il s'identifie? Un homme qui chante la morvandelle n'est-il pas morvandiau? Un homme qui scande le ban bourguignon n'est-il pas bourguignon? Un homme qui salue la marseillaise n'est-il pas français? A contrario...


Le grand-père de Vincenot considère l'Auxois comme "le toit du monde occidental", car c'est là que se trouve le point de partage entre trois bassins hydrographiques:
"Au coeur de la Bourgogne existe un endroit où la goutte de pluie, selon qu'elle tombe ici ou trois mètres plus loin, s'en va rejoindre la Manche, l'Atlantique ou bien encore la Méditerranée, après avoir grossi soit l'Yonne puis la Seine, soit la Loire, soit la Saône puis le Rhône." Geocoaching.com


Cela nous amène à un autre constat de Vincenot. A l'aube du XXème siècle, les paysans ne sont pas incultes. Les femmes ont étudié, les hommes ont lu.
Les métiers manuels sont la règle. Le savoir des artisans se transmet par le compagnonnage, alors qu'aujourd'hui on privilégie les championnats et les titres de meilleur ouvrier de France ou l'on cache aux autres, devenus des concurrents, ses trucs et tours de main.


On observe aussi dans les usages locaux la vieille tradition d'alliance des paysans et de l'aristocratie contre la bourgeoisie qui recherche le profit au travers d'un progrès illusoire.


Mais le principal, c'est que Vincenot s'oppose avec fermeté à Victor Hugo, à Zola et autres parisiens qui faisaient du misérabilisme sur le dos des paysans. Les paysans étaient pauvres et exploitaient toutes les possibilités de leur terroir, mais ils vivaient bien.
Je pense que Vincenot a, comme beaucoup, des souvenirs radieux d'une jeunesse passée et regrettée. J'ai le souvenir, et mes anciens me racontaient qu'il y avait dans chaque village des vieux sans ressource, qui allaient encore ramasser le bois mort dans la forêt pour se chauffer et vivaient de la solidarité des autres habitants. Une chose devenue bien rare aujourd'hui, même dans les villages.
Il n'empêche que pour être rude, la vie n'était pas misérable, bien au contraire.


C'est probablement vrai de toutes les campagnes, mais particulièrement de la Bourgogne où les habitants ne sont pas réputés pour leur ascétisme. Pour faire maigre, on remplace le gigot de sanglier par un brochet cuit au four à la crème et au vin blanc avec des petits oignons et des truffes, on substitue les oeufs en meurette au coq au vin, on ne met pas de beurre dans la crème...


Tout cela fut brisé le jour où la ligne de train Paris-Lyon-Méditerranée fut construite, où la première voiture automobile est arrivée dans le village, où les premières machines agricoles ont fait leur apparition, où la force mécanique a remplacé la traction animale.


Mais peut-on s'opposer au progrès? C'est ainsi que le Tremblot (le grand-père de Vincenot) se met-il à vendre des écrémeuses centrifugeuses pour payer les études de son petit-fils, qui lui-même entrera plus tard au service du PLM si décrié pour vivre.


C'est ainsi que tous, nous avons renoncé à la lenteur, que nous avons cédé à l'exode rural, nous sommes rendus esclaves des pointeuses, des administrations, sur un rythme hystérique, avons renoncé à notre liberté, à notre art de vivre dont nous faisons quand même la promotion à l'étranger. Quelle hypocrisie!


Vincenot nous dit tout cela, l'air de rien, en nous racontant simplement son enfance avec toute sa faconde de conteur.


Mais si vous pensez pouvoir vous débrouiller en Bourgogne avec le vocabulaire de Vincenot, sachez quand même qu'une langue régionale (je refuse de faire ce distinguo ridicule entre patois et langue, sous prétexte que certaines seraient écrites et les autres seulement parlées) varie de vallée en vallée jusqu'à vous rendre compte que le Bourguignon parlé dans la vallée de la Vandenesse est devenu Champenois, puis Lorrain, Vosgien, Alsacien, Allemand....

-Marc-
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le 19 janv. 2020

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-Marc-

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