La Billebaude
8.3
La Billebaude

livre de Henri Vincenot (1978)

Rarement ai-je lu un auteur avec qui j'avais autant d'accords et de désaccords à la fois.
Armé d'un solide bon sens Henri Vincenot nous conte sa Bourgogne natale et la belle humanité qui la peuple. Déclaration d'amour à sa région, à ses habitants, à la nature rugueuse et tendre à la fois, génératrice de bien-être ; ode aux sens et au bien vivre, à une civilisation lente qui sait prendre son temps, s'inscrit au coeur des cycles et n'a pas oublié ses rites ni d'où elle vient. L'auteur se refuse à décrire cette société du passé sous un angle misérabiliste et l'associe à un art de vivre qui s'est perdu. Bref Vincenot se pose en écologiste en rappelant que c'était la tendance naturelle de chaque humain avant que la civilisation du toujours plus, de l'immédiateté et du gaspillage ne donne la fausse impression que cette manière de vivre aille à l'encontre de l'idée de progrès, alors qu'on peut dire sans avoir trop peur de la contradiction désormais que le progrès qu'on nous a vendu dans certains domaines ressemble avec le recul à une terrible régression, conviction que Vincenot possédait déjà très jeune . La Billebaude se pose par certains aspects comme un rappel salutaire de ce qui constitue l'essence même d'une vie pleine et satisfaisante tout en étant une critique d'une société mécanique d'horloges pointeuses et d'usines où les hommes ne s'ont plus que rouages facilement remplaçables et qui s'oppose au compagnonnage organique dans lequel les hommes s'inscrivaient au cœur d'une tradition faites de passation et de solidarité, construisant une œuvre commune où l'ego n'a pas sa place.
Avec tout cela, je suis évidemment d'accord.


Ça n'empêche pas ce bon vieux Henri de se montrer parfois profondément réactionnaire comme lors de certaines diatribes dans lequel il abandonne ce solide bon sens qui le caractérisait jusque là pour se laisser aller à la facilité en associant la science avec le progrès technocratiques incriminant sans beaucoup de discernement les mathématiques et les sciences dures, opposant un peu à la légère science et poésie, alors que non seulement elles ne sont pas incompatibles, mais qu'elles seraient même sœurs, et allant même à appeler de ses vœux l'obscurantisme et la sainte inquisition dans un des passages les plus ridiculement risible du roman (même si je ne doute qu'il y a dans son chef une volonté de provocation un peu infantile lors de cet extrait). La place de la femme dans sa vision de la société peut également faire tiquer le lecteur moderne, même si c'est beaucoup moins caricatural qu'on pourrait le penser et teinté d'un profond respect, quand bien même, l'immense respect qu'il leur témoigne se teinte d'un certain paternalisme. La déclaration d'amour à sa femme démontre pourtant sa conception plus égalitaire ou à tout le moins complémentaire du couple qu'on ne pourrait le croire à la base.


Le livre fait la part belle à de nombreuses scènes de chasses. Un peu trop nombreuses à mon goût, n'ayant pas particulièrement un amour débordant, ni un intérêt particulier pour cette pratique, même si je ne veux pas la condamner unilatéralement. Je comprends bien que les chasseurs à l'ancienne de cette bien belle Bourgogne n'ont pas grand chose à voir avec certains praticiens modernes de la discipline. Mais toujours est-il que je n'ai pas été passionné par ces nombreux passages, même si j'y ai appris certaines choses, ce qui impacte un peu mon appréciation générale d'un livre que j'ai pourtant beaucoup aimé dans l'ensemble.


Avec La Billebaude, Henri Vincenot fait plonger ses lecteurs dans un monde différent qui peut presque paraître antique à certains moments tant le décalage avec notre monde moderne est important. Savoir que la magie, les savoirs et l'humanité de ce monde là semblent si lointains qu'ils sont impossibles à retrouver en devient douloureux, mais on remercie tout de même le sympathique Bourguignon de nous rappeler à travers une fenêtre sur le passé ce que c'est que d'être humain.


Je vous conseille donc la lecture d'Henri Vincenot. Je risque moi aussi d'ailleurs un jour ou l'autre de lire d'autres de ses ouvrages tels que Le Pape des escargots ou Le Maître des abeilles pour y retrouver une Bourgogne et des Bourguignons qui me rappellent par bien des aspects mon Borinage natal.

Samu-L
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le 28 août 2021

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