Le livre est en trois parties : la première sur la liturgie formelle de l'objet ; la deuxième développe une théorie de la consommation ; la troisième étudie divers thèmes ("mass media, culture et loisirs").


Il y a une influence du marxisme, on retrouve des termes comme "classes", "contradictions", et il y a une référence à Marcuse dans la conclusion, ainsi qu'une brève allusion à Mai 1968. Pour autant, ce n'est pas un brulôt anticonsommation, c'est un peu plus subtil, mais c'est encore valable pour notre époque.


C'est un livre qui veut décortiquer les mécanismes de la publicité, à la fois dans la manière dont elle est conçue, mise en oeuvre et consommée, ainsi que le miroir que cette publicité tend à la société, et la manière dont elle aliène. L'approche se veut analytique, au sens marxiste : analyser la production de publicité comme on ferait pour n'importe quelle autre production industrielle. Le livre a une forme de détachement objectif (trompeur). Par moment, on sent que c'est un philosophe qui parle : Baudrillard insiste sur la vision d'un monde immanent que véhicule la publicité, qui s'oppose à toute transcendance.


C'est une descente en flèche du productivisme à outrance, avec quelques thèses qui m'ont touché : le fait que le vrai travail du travailleur-consommateur, au fonds, est de trouver comment il va consommer sa paye, et que tout est fait pour le conditionner, l'aiguiller. Le fait que les mythes diffèrent pour l'homme (exigeant, compétitif) et la femme (complaisante et maligne, qui auto-objectifie son corps). Les contradictions multiples de la société, qui vante l'abondance, la performance mais incite à la responsabilité (les voitures). Les erreurs des théoriciens de la publicité qui pensent l'individu en termes de besoin, alors que la publicité crée une insatisfaction. Le culte du corps, l'abaissement de la culture au "fait d'être à la page", de "réviser ses classiques" en même temps que les autres. Que l'objet-gadget a pour fonction, justement, de ne pas en avoir, d'être futile.


Et mille autres réflexions qui aujourd'hui ont été largement popularisées, mais qu'il fait bon lire dans un ouvrage synthétique qui fait le bilan des Trente Glorieuses finissantes, à une époque où les techniques de manipulation n'en étaient qu'à leurs balbutiements, et par conséquent étaient plus faciles à repérer. Qu'aurait pensé Baudrillard de l'explosion actuelle de la culture geek, de toutes ces figurines inutiles, vides de fonction, de ces campagnes médiatiques monstrueuses ?


Evidemment, les exemples décortiqués datent, mais les publicités sont décrites factuellement, si bien qu'on comprend à quoi l'auteur fait allusion.


La conclusion est étrangement faiblarde, se perdant dans des parallèles tirés par les cheveux et des études lexicales mollassonnes, mais ce n'est pas grave, l'important c'était le chemin. Et au terme du livre, vous regarderez autour de vous, et vous constaterez que le constat de l'auteur au début du livre s'applique aussi à vous : oui, nous nous entourons d'objets fétichisés plutôt que d'aller vers nos semblables. Nous pouvons chercher à nous donner des airs écoresponsables, nous en sommes encore là.


Je termine en disant que ce livre-pionnier est une source inépuisable de citations, d'amorces pour la réflexion.

zardoz6704
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le 19 nov. 2018

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zardoz6704

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