Après « No Logo » voici le deuxième essai phare de Naomi Klein «  Stratégie du choc » et c’est toujours aussi détonnant.
Le sujet est simple : comment les grandes multinationales essentiellement américaines et les tenants de l’ultra libéralisme, main dans la main avec la CIA(1), profitent des crises et même parfois les provoquent (guerres, coups d’état, catastrophes écologiques, attentats…) pour pouvoir « anesthésier » et briser « mentalement » les populations (populations victimes des dégâts collatéraux : peur, déplacements en masse, licenciements, famine…) et ainsi mettre en place leur doctrine économique ultra libérale avec les conséquences qui en découlent pour les plus démunis qui n’ont plus les moyens nécessaires pour réagir.
Car quoi de mieux qu’une bonne crise, peu importe sa nature, en fait il n’y a qu’à attendre, pour faire passer les pires lois (et si aucune crise ne vient alors il est toujours possible de fomenter un coup d’état ou de provoquer des guerres).
Dans ce pavé incontournable et indispensable Naomi Klein démonte avec force, précision et surtout une grande documentation les mécanismes de l'ultra-libéralisme depuis sa création dans les années 50 à travers les doctrines de Milton Friedman et de l'école de Chicago jusqu'à la seconde guerre d'Irak (évidemment le libéralisme existait déjà avant suivant les idées d'Adam Smith et autres théoriciens).
C'est un sujet tellement vaste et le livre faisant plus de 650 pages (notes comprises) il est impossible d’aborder tous les sujets et tous les chapitres évoqués et on est donc obligé de faire des choix et de se concentrer sur certains thèmes ou exemples géographiques particulièrement évocateurs.
La documentation, énorme, a demandé des années de travail, et les cas précis décrits par l'auteure à travers le monde depuis le coup d'état de Pinochet en 1973 au Chili, coup d’état soutenu par la CIA, en font une mine d'informations sur toutes les attaques de cette doctrine nuisible depuis 50 ans et d'ailleurs on remarquera l'omniprésence de la CIA tout au long du livre.
Naomi Klein montre aussi que contrairement aux discours mensongers des partisans de l'ultra libéralisme cette doctrine économique va rarement de pair avec un régime démocratique et que contrairement aux affirmations régulièrement martelés et repris par les médias elle s'accorde beaucoup mieux avec un régime autoritaire (le Chili, l’Argentine, la Russie, l'Irak, la Chine ... les « contre » exemples sont légions et la liste des dictatures soutenues par la CIA impressionante).
On suit les chapitres sur la Nouvelle Orléans, le Sri Lanka post tsunami, l'Irak, l'Afrique du sud la Chine, la Pologne, la Russie, Israël et bien sur l'Amérique Latine (Chili, Brésil, Argentine, Bolivie) cette dernière région que les USA ont toujours considéré comme leur laboratoire privilégiée et leur chasse gardée.
Certains chapitres sont saisissants et valent la lecture de cet essai, notamment le Chili bien sur mais aussi la Pologne ou l’Afrique du sud ( car on voit comment Solidarnosc ou l'ANC pris par leur propre contradictions et dans l’étau du FMI ou de la banque mondiale ont retourné leur veste et renié leur programme économique initial).
Rappelons ce que sont les 3 piliers fondamentaux de la doctrine du libéralisme « radical » : déréglementations, privatisations et réductions des dépenses sociales (et donc par ricochet licenciements, fermeture de services publics…)...et qu’il est toujours plus facile de faire passer des lois impopulaires quand une population est sous le « choc » et sur laquelle on a inoculé la peur.
Au départ au début des années 50 il y avait donc les Chicago Boys, économistes ultra libéraux formés par Friedman et son équipe à l'université de cette ville américaine et qui furent déployer à travers de le monde (d'abord au Chili puis en Amérique Latine, en Indonésie et partout ailleurs ) pour peser sur les divers gouvernements qui avaient besoin d'aide financière et les contraindre en contrepartie de financements à imposer toutes les mesures ultra-libérales préconisées par le FMI (car les aides ne sont jamais désintéressées).
Naomi Klein explique bien la dérive du FMI et de la banque mondiale par rapport à leurs buts initiaux lorsqu'ils furent créer sous l’impulsion des partisans de Keynes et qui maintenant sont au service du libéralisme le plus dur et profitent donc eux aussi des crises pour permettre de mener une politique ultra libérale (dérèglementation, privatisation, réduction du rôle de l'Etat...) : chantage vis à vis des pays en voie de développement c'est à dire «  soit vous suivez nos directives et notre aide doit servir aux mesures qui vous seront imposer ou alors vous crèverez ».
Premier exemple au le Sri Lanka ; le tsunami a permis sous couvert de secours de raser les maisons des pauvres trop près des plages, d'expulser les pécheurs et de construire des hôtels de luxe.
car oui les tenants de l'ultra libéralisme attendent la moindre catastrophe pour faire pression sur les gouvernements et quoi de mieux qu’une bonne guerre ou une bonne catastrophe.
Autre exemple : La Nouvelle Orléans où lors de l’ouragan terrible qui toucha la Louisiane les USA profitèrent de la crise pour privatiser les écoles de la ville et en secourir en priorité les quartiers riches laissant les autres à majorité noirs et pauvres à l'abandon total.
Dernier exemple : en Israël les grands capitalistes ont longtemps combattu la guerre (contre la Palestine) dans la mesure où elle était un frein à la construction d'un grand marché du Moyen Orient dont la centre serait Israël ; à partir du moment où ce pays s'est de plus en plus spécialisé dans l'internet, le renseignement et la haute technologie la guerre en contraire devenait nécessaire et surtout celle contre le terrorisme et eux qui prônait la paix avec les états arabes environnants sont devenus les plus farouches "va t-en-guerre" puisque tel était leur intérêt.
- Comment le libéralisme poussé à son paroxysme a réussi à tout privatiser y compris l'armée, la sécurité, la santé, l’assistance humanitaire, l’espionnage...
- Comment des multinationales spécialisées dans la guerre et l'armement investissent aussi des domaines tels la protection, la reconstruction, la santé, l'humanitaire !!!
- Où comment faire des bénéfices avant, pendant et après une guerre car en Irak ceux qui ont préparé la guerre, ceux qui l’ont faite, ceux qui ont soigné les blessés et ceux qui ont reconstruit sont les mêmes multinationales, multi-cartes et capables désormais d’intervenir dans tous les domaines.
Avec une seule idée en tête, toujours la même, faire des profits et tout faire pour gagner plus d'argent y compris au détriment des autres, en pillant d'autres pays, en affamant les populations, en torturant les opposants...en tirant au maximum sur la corde pour appauvrir encore plus les pauvres.
Car ce sont les grands groupes, les GAFA et autres grands trusts parfois moins connus et plus discrets, qui dirigent de mèche avec les gouvernements et qui se répartiront la part du gâteau.
Par exemple aux USA on voit de grands dirigeants de multinationales devenir ministre ou secrétaire d’état (ou inversement), on pense notamment à Kissinger qui durant plus de 30 ans passa des hautes sphères du privés aux hautes sphères du public en orientant la politique de telle manière à servir au mieux l’intérêt des groupes financiers auxquels il appartenait.
Le chapitre sur les recherches « psychologiques » (électrochoc, prise de substances hallucinogènes, torture) afin d’anéantir les opposants ou prisonniers de guerre est également éloquent et mériterait d'être développé davantage.
N’oublions pas que les tenants de l’ultra libéralisme n’ont qu’une loi : le profit. Et pour cela ils ont besoin de faire avaler toutes les couleuvres et autres mensonges possibles aux travailleurs ; ne tombons pas dans le panneau, le capitalisme n’a jamais cherché le bien du peuple et il est nécessaire de comprendre les mécanismes et ressorts de ceux qui veulent imposer cette doctrine pour mieux la combattre et ce livre, en expliquant des mécanismes dont nous n’avons pas forcément conscience est une aide précieuse.
Encore un livre indispensable.
(1) : depuis 1945 la liste est longue des méfaits et coups tordus de la CIA notamment en Amérique Latine (mais pas seulement)

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le 15 mars 2020

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