A 15 ans, en pleine phase poétique, je fis mes premières découvertes : j'engrangeais alors les poèmes, tels des objets de collection, les conservant jalousement dans l'écrin de ma mémoire, y puisant à tout moment pour me les réciter avec ferveur.


D'aucuns étalent leurs colifichets, moi , je me parais de ces bijoux sans prix, que j'empruntais à des maîtres-orfèvres : Baudelaire, Hugo, Verlaine ou Rimbaud.
De ce dernier, je gardais à l'esprit le visage fin, la mèche rebelle et le regard grave du garçon de 17 ans, que me renvoyait le cliché bien connu pris en 1871, génie précoce que j'avais envie d'apprivoiser.


C'est ainsi, qu'au détour de mes pérégrinations livresques, admirative, mais non éprise des formidables envolées lyriques du Bateau ivre, ou de la "prodigieuse autobiographie spirituelle" d'Une Saison en Enfer, je tombai sur un petit sonnet, doux et incandescent à la fois, un de ces poèmes écrits à l'heure des premiers émois, éveil sentimental d'un adolescent qui se prend à "désirer sa soeur de charité".


La vigueur, l'audace et la liberté juvénile de ce poème euphorique me transportèrent à mon tour, dans ce "petit wagon moëlleux au nid de baisers fous".


Par une froide nuit d'hiver, isolés du reste du monde, dans un décor bleu et rose, deux amoureux jouent à Colin Maillard, dévoilant, tâtonnant, pour mieux trouver, pour mieux sentir et ressentir : léger marivaudage histoire de se faire désirer, mais au jeu du plaisir, c'est l'audacieux qui triomphe, tandis que lancé à la poursuite d'une araignée imaginaire sur le cou de la demoiselle, il traque la "petite bête" dans les moindres replis de la chair, miracle de la connaissance renouvelé à l'infini, ludique et enivrant.


Et dire que le 10 juin 1871, Rimbaud, reniant ces 22 poèmes de jeunesse, ce Cahier de Douai, confié à son ami Demeny, s'écriait :



Brûlez tous ces vers, que je fus assez sot d'écrire !"



Par bonheur, ce dernier n'en fit rien.


Je viens de retrouver ce poème, jamais oublié, témoin d'une adolescence qui n'en finit pas, et d'un passé toujours aussi vivant, délicieuse rêverie teintée d'érotisme, qui célèbre, dans un bonheur joyeux et enthousiaste, la fête du corps et des sens .


Le voici :


Rêvé pour l'hiver


L'hiver, nous irons dans un petit wagon rose
Avec des coussins bleus.
Nous serons bien. Un nid de baisers fous repose
Dans chaque coin moelleux.


Tu fermeras l’œil, pour ne point voir, par la glace,
Grimacer les ombres des soirs,
Ces monstruosités hargneuses, populace
De démons noirs et de loups noirs.


Puis tu te sentiras la joue égratignée...
Un petit baiser, comme une folle araignée,
Te courra par le cou...


Et tu me diras: "Cherche!" en inclinant la tête,
Et nous prendrons du temps à trouver cette bête
Qui voyage beaucoup...


Arthur Rimbaud

Aurea
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le 16 avr. 2015

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