Le premier tome des annales du disque monde s'ouvrait il y a près de 35 ans avec la huitième couleur. Pour illustrer sa conception de la magie, Terry Pratchett a inventé à l'époque la couleur octarine, une sorte de jaune pourpre verdâtre fluorescent du plus bel effet. Sur un monde plat, juché sur le dos d'une tortue, la façon dont s'écoule la lumière et les couleurs a en effet une importance capitale si l'on veut y voir quelque chose.
Les poisons de Katharz se répandent eux sur un autre monde, les Terres d'Airain, où la magie dégage toujours (enfin, presque toujours) un parfum de truffe, qui change légèrement en fonction de son utilisateur. Chaque sort porte en quelque sorte la signature de son auteur. L'association entre les champignons et la magie, mais aussi entre les bonbons et la magie, est très amusante et bien trouvée. D'ailleurs le livre fourmille de références rigolotes, de bons mots, de petites blagounettes, sans que jamais on s'en lasse. La filiation avec l'univers du disque-monde de Pratchett est évidente, mais on note aussi une forte influence du monde de Troy d'Arleston. Sans être écrasée par ces références, l'autrice Audrey Alwett nous fait rencontrer avec plaisir une foule de personnages attachants : la sorcière et son apprenti, le vieux politique et la jeune courtisane, le maître et son valet, l'amant et la femme infidèle, etc.
Chacun de ces couples a son importance dans le sort de la cité-prison de Katharz. Chacun d'eux apporte sa réponse à la fameuse question posée dans le roman et qui résonne à chaque page, faut-il sacrifier quelques personnes pour en sauver beaucoup ?
Et bien sûr chacun a sa réponse, sinon ce serait trop simple. Ce qui est dommage, c'est que le point de vue du personnage principal, la Tyranne Ténia, domine largement celui des autres dans la narration. Ce qui est encore plus dommage, c'est que Ténia est une utilitariste benthamienne convaincue, qui ne raisonne qu'à travers une analyse coût-avantage qui ferait frémir le plus timoré défenseur des droits naturels. Pour Ténia, qu'importe l'annihilation, pourvu qu'un jour de plus on nous laisse. Naïf que je suis, j'ai cru pendant de nombreuses pages que la tyranne d'Alwett rimait avec le tyrann d'Asimov, et qu'on aurait droit à un moment à un twist qui réconcilierait Ténia avec quelques principes de base, comme la compassion. Las, cher ami lecteur, je ne peux te laisser errer comme moi dans les pages des poisons de Katharz avec ce doute qui te rongera le ventre. Non, il ne convient pas de placer ta foi en Ténia.
Mais tout n'est pas perdu, d'autres chroniques des Terres d'Airain sont prévues (et j'aimerais bien qu'elles sortent rapidement, car j'ai hâte de les lire), l'apocalypse ne sera donc pas pour cette fois. Nous aurons l'occasion de voir j'espère cette année si les trésors de Thalass peuvent faire le bonheur des ogres.
Les poisons de Katharz est donc un très sympathique livre de fantasy avec lequel j'ai passé de très bon moments. Quelques défauts bien sûr, mais très vite gommés par d'immenses qualités, des anges et des licornes.