Peu connaisseur de l'univers de Terry Pratchett auquel Audrey Alwett rend résolument hommage, il n'empêche que ce roman a eu tout l'art d'attirer le curieux passionné du genre par son aspect humoristique assumé dès la quatrième de couverture. Les poisons de Katharz présente un concept aguicheur : une cité où le meurtre est encouragé parce qu'elle ne doit pas dépasser un certain nombre d'habitants, sinon l'apocalypse viendrait tout détruire. Un concept permettant une réflexion bien connue "Sacrifier quelques centaines de vies pour en sauver des milliers" selon un angle différent.
Il faut le dire, une partie de la promesse est remplie. Les engrenages mettent du temps à tourner, mais l'attente en vaut le détour. Le ton est donné dès le départ avec des personnages décalés, tel la sorcière Dame Carasse dont le cynisme est poilant, ou la protagoniste, Ténia Harsnik, dans son rôle de tyranne malgré elle qui lui sied comme un gant. Elles font vivre l'intrigue à elles seules, même si les autres intervenants offrent de beaux moments également.
Tant que j'évoque Ténia, j'émets toutefois une réserve concernant son développement. Dans l'édition que j'ai achetée, elle apparaît en couverture, posée sur son trône, un sourire sadique étirant ses lèvres sur son visage juvénile aux boucles dorées. Pour sûr, la couverture brosse un portrait de dictatrice cruelle contrastant avec son jeune âge (vingt-deux ans) et il me tardait d'en savoir plus. Hélas, si lors de ses premières apparitions, elle guillotine joyeusement à tout va, ses prochaines apparitions, plus d'une centaine de pages plus tard, dévoilent sa dimension humaine. La pauvre Ténia a hérité du pouvoir très tôt, abandonnée par un père suicidaire, et tue uniquement par nécessité avec un soupçon de pragmatisme, telle une héroïne incomprise. En soit, c'est compréhensible, mais ce n'est pas vraiment ce que j'attendais du personnage... Comme une fausse promesse.
Au travers de cette cité corrompue, assaillie de toute part, l'auteure a voulu nuancer le propos et apporter un message ou au moins dresser quelques thématiques derrière tout cet humour. Outre les réflexion sur les relations humaines traités à travers quelques duos (Carasse/Azarel, Sinus/Ténia, Mâton/Grace), le roman nous offre également une réflexion sur l'interventionnisme (vouloir détruire une ville pour des armes alchimiques rappelle délicieusement l'intervention en Irak en 2003), sur les jeux de pouvoir, l'héritage... Et d'autres thèmes que j'ai sûrement loupés.
Mais selon moi, comme la couverture le vendait, la principale qualité de ce livre réside en son humour. Et cet humour se joue sur deux niveaux : le fond et la forme.
L'humour de fond est riche, varié, et garde un excellent niveau tout du long. Je pourrais lister ce qui m'a fait sourire, rire, mais ce serait trop, donc voici un petit florilège de mes passages préférés :
Comme susmentionnés, les premières apparitions de Dame Carasse et Ténia, quand cette dernière s'amuse à guillotinner le célèbre "Sérik Yemmour" pour non-respect d'une loi ambiguë. Le passage avec les sectes complotistes était très marrante aussi, notamment quand ils envoient leur croquemitaine et que celui-ci se retrouve à tomber sur deux autres assassins, et puis seulement après que Ténia se soit défendue, son espionne et ses gardes viennent la secourir. J'ai bien aimé les références bien placées à certaines oeuvres (comme le Donjon de Naheulbeuk avec le baron ou le coup du sort à la fin, autre référence de la fantasy parodique française, le film Apocalypse Now par son titre, etc...)
En sus de ce fond déjà bien enrichi, le style d'écriture s'octroie de nombreuses libertés. L'humour se joue aussi sur les notes en bas de page, un ajout très sympathique, ou encore les modifications de police d'écriture. Ils peuvent s'exprimer en petit, en grand, en gras, cela n’entache pas tout le propos, au contraire ça le renforce !
Les poisons de Kartharz est donc un bon livre. Hommage, humour de référence, humour absurde, univers vivant, personnages attachants récit rythmé, il s'engouffre parfois dans du classicisme non subversifs allant à l'encontre de son propos, mais rarement, et de manière générale, ce fut une lecture agréable.