Portugal, 1948. Ilidio, six ans, est abandonné par sa mère. Avant de le laisser sur un banc du village, elle lui donne un livre qui sera son seul héritage. L’enfant est recueilli par Josué, un maçon solitaire et au grand cœur. Ilidio grandit, se fait des amis de son âge (Cosme, Galopim), tombe éperdument amoureux (Adélaïde), apprend le métier de son père adoptif. Vie pauvre, bourg retiré que la fée électrique n’a pas encore déniché, pays modeste dominé par Salazar, dictateur au pouvoir de 1932 à 1968.
Puis vient le temps de l’émigration (clandestine) vers la France, les passeurs, les départs de nuit, les chemins de montagne, les marches silencieuses. Et enfin Paris, la ville lumière, les années 60, les voitures, les magasins, le foisonnement. Et les boulots sur les chantiers, les bidonvilles des banlieues, de Saint-Denis ou de Champigny. Cette vie toujours précaire mais qui confère à l’émigré un statut de roi du pétrole chaque fois qu’il rentre au pays. Puis mai 68 que les portugais observent avec indifférence. Puis la Révolution des œillets (coup d’état du 25 avril 1974) qui leur donne l’espoir d’un Portugal meilleur.
Un livre en deux parties. La première (les trois quart du livre) raconte la vie d’Idilio, de Josué, d’Adélaïde et de sa vieille tante impossible, de Cosme, du Galopim… des saynètes qui s’enchainent rapidement, qui ne se suivent pas toujours de façon chronologique, qui s’imbriquent et se complètent pour former un tout magique, magnifique, bouleversant, prodigieux ; une atmosphère austère pour ces vies de labeur brillament décrite par l’auteur. Personnages attachants, humbles, forts et faibles à la fois, profonds et merveilleusement campés. Première partie qui s’achève avec la naissance du narrateur au surlendemain du coup d’état et qui m’a complètement happé : je venais de découvrir un auteur hors norme dont l’immense talent a été salué par Saramago lui-même. Un bouquin qui promettait d’être ma lecture de l’année et de forcer la lourde porte de mon top 10. J’étais ébahi, ahuri… incrédule !
Puis vint la seconde partie. Cinquante pages qui jetèrent une certaine ombre sur cet ensemble jusque là parfait. Peixoto commença à nouer des nœuds, à boucler des boucles. Le narrateur porte le nom du livre (Livro) qui raconte sa vie. Mais ce livre est aussi celui que la mère d’Ilidio remit à son fils avant de l’abandonner (près de 30 ans avant la naissance de Livro, donc). Livre qu’Ilidio offrit à son tour à Adélaïde son amour de toujours et mère du narrateur. Tels la poule et l’œuf, le lecteur ne sait plus qui est à l’origine de l’autre : le livre ou le narrateur ? Cette ambigüité est évidemment voulue. Et l’auteur nous le dit d’ailleurs clairement : c’est pour évoquer l’éternité qu’un auteur imbrique début et fin. L’éternel recommencement, la fin qui n’en ai pas une (sauf pour l’auteur qui met le point final à son manuscrit). Dans cette seconde partie où les références littéraires abondent, auteur et narrateur s’adressent la parole en un récit schizophrénique dont je n’ai pas cerné tous les tenants et les aboutissants.
Pourquoi ne pas s’être contenté d’un récit autobiographique classique mais magnifique ? Pourquoi ne pas avoir poursuivi dans le ton de la première partie ? Pourquoi avoir ainsi bifurqué, étalé si copieusement son savoir ? Pourquoi avoir tenté une autocritique de sa propre prose et tenté d’analyser dans la foulée le fait de l’avoir fait ? Pourquoi m’avoir privé de la fin époustouflante (heureuse ou non) de j’espérais ? Pourquoi m’avoir volé les émotions qui m’ont fasciné durant plus de 270 pages ? Je me sens dépossédé. Trahi.
Un livre qui n’obtiendra donc pas la note maximale et qui n’entrera pas dans le cercle très fermé de mes livres cultes. Mais une lecture malgré tout superbe et qui fera date. Une très belle écriture et un auteur à approfondir.
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