Le géographe et le taux de croissance

La lecture, en 2015, de La France périphérique fut une révélation. Christophe Guilly, géographe lucide, exprimait clairement ce que je subodorais sans parvenir à l’exprimer. La France se coupait en deux. Quelques villes métropoles tiraient tous les bénéfices de la mondialisation, tandis que le reste du pays tombait dans une trappe. Politiques, chercheurs et journalistes nous abusaient avec la crise des banlieues et la modernité heureuse et sans frontière.


Avec No Society, le géographe se fait sociologue et politologue. Les élites se réjouissent des effets de la mondialisation et de la libre concurrence, l’argent circule, tout en faignant de lutter contre ces conséquences, la désindustrialisation et la mort de la petite agriculture. Un surendettement suicidaire a maintenu, un temps, le pouvoir d’achat des retraités et des fonctionnaires, mais le temps de la rigueur est venu. Coupés de leurs peuples, les puissants tentent de faire sécession, de larguer les provinces inutiles. L’Écosse, les Flandres, la Catalogne, demain le Bassin Parisien et la Californie... La société commune n’est plus.


Moribonde, la classe moyenne semble prendre son indépendance. Elle n’obéit plus et vote mal. Les savants fustigent ces masses de fascistes, déplorables, sans-dents et autres racistes ! Ils veulent y voir les effets des fake news et des pamphlets réactionnaires. Or, « Donald Trump, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Bepe Grillo, Luigi Di Maio ou Matteo Salvini, Steve Banon, David Goudhart ou Eric Zemmour n’influencent en rien l’opinion populaire : au contraire, ils s’en nourrissent. La théorie de la trumpisation ou de la lepénisation des esprits faibles ne dit absolument rien d’une mécanique de fond beaucoup plus puissante porté par le soft power des nouvelles classes populaires. »


Les perdants ont pris conscience de leur appauvrissement. Ne croyant plus aux promesses de lendemains meilleurs, ils votent désormais en fonction de leurs seuls intérêts, ou de leurs craintes. Or, ils sont majoritaires. Les lois de la démocratie sont implacables : s’ils unissent leurs suffrages, ils désigneront le vainqueur. Sauront-ils contraindre leurs propres élites à refaire société ?


L’essai est riche. Je développerai un point.


Nos sociétés développées, rationnelles et laïques idolâtrent l’argent. Politiques et médias répètent à l’infini le même mantra : Tant que le PIB grimpe, nous nous enrichissons, les très riches d’abord, puis, par effet de ruissèlement, tous les autres.


Le fameux taux de croissance s’est effondré avec la crise financière. On nous annonce des chiffres de 1 à 2 % annuels. Je doute de la réalité de cette croissance. La raison d’État – ne pas désespérer la classe moyenne, les nouveaux gueux – accule nos comptables à des contorsions diaboliques.
– Ils intègrent des flux jusqu’alors ignorés, telles la prostitution et la drogue. Sous le fallacieux prétexte que les Pays-Bas ont légalisé le trafic de cannabis, les États Européens sont priés de l’intégrer dans leurs statistiques. Les drogues représenteraient 10 % du PIB, voilà dix années de croissance fictive assurées.
– Bercy traque le travail au noir et l’argent caché. Il impose les cartes de paiement sans contact, restreint les règlements en liquide et aspire à supprimer la monnaie fiduciaire. Mieux, il a exigé que les commerçants s’équipent de caisses enregistreuses infalsifiables. Jusque-là, un patron indélicat pouvait, le soir venu, effacer certaines opérations... C’est fini.


N. B. : En admettant même que le taux soit exact, ce 1,6 % global cache un 2 ou 3 % dans les métropoles et une régression pour les zones périphériques. Vérité déplaisante... Oubliez.

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le 10 avr. 2019

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Step de Boisse

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