Révolution
3.3
Révolution

livre de Emmanuel Macron (2016)

Bientôt un mois après les élections présidentielles, il va falloir se rendre à l’évidence : je ne peux plus fulminer de rage en jetant le transistor au sol à chaque fois que j’entends « Macron » à la radio, les cinq prochaines années risqueraient d’être épuisantes. « On a les dirigeants qu’on mérite » et puis, après tout, pourquoi ne pas lui laisser sa chance ? C’est apparemment la pensée de nombres de français, car bien qu’ils furent une minorité à voter pour les idées et le programme de Macron, et qu’ils atteignirent des records d’abstention au second tour, ils sont une majorité à approuver la composition de son gouvernement très « droitier ». Résigné et écœuré, me voilà donc dans une librairie à trouver entre deux livres d’entretiens et d’autres au titre stupéfait avec la même trogne souriante en couverture, l’essai de notre cher Président publié en novembre 2016 : « Révolution ». Tout un programme, dans une édition de poche à cinq euros agrémentée de son discours du 6 mai. Je l’avoue, je n’ai passé qu’une heure trente à le lire en diagonale sans concéder un centime au monarque (et puis quoi encore ?), mais cela me semble suffisant pour en émettre un avis.


Il faut dire que lui et moi sommes du même terreau, celui de la philosophie, en espérant que je ne finisse pas à l’ENA et à Rothschild comme lui (1). Et plus je creuse ma réflexion sur cette nouvelle entité monstrueuse et boursouflée de mépris de classe (2) qui siège à l’Elysée, plus je lui trouve un air de famille avec celles des Sophistes, les ennemis de Socrate et Platon durant la Grèce Antique. Ces derniers ne croyaient qu’en leur propre éloquence, et se vendaient au plus offrant pour défendre une opinion sur la place publique. Ils usaient alors d’une rhétorique consistant à disserter jusqu’à l’absurde en dissimulant la fausseté de leur jugement par les atours d’un grand discours. N’est-ce pas la démarche d’un homme politique qui dévoila son programme deux mois avant les élections, et joua de son image de jeune dynamique dans les médias, de BFMTV à Paris Match en passant par l’Obs ? (3) N’est-ce pas la stratégie d’un président qui mise tout sur son rayonnement diplomatique lors des premières semaines de son mandat en mettant sa réforme du code du travail sous le tapis jusqu’à la fin des législatives ? A l’image du fonctionnement des grandes entreprises, la machine macronienne au pouvoir ne réfléchit ses coups qu’à court terme, jusque dans un dialogue social avec les syndicats on ne peut plus artificiel. Les apparences ne risquent pas d’être sauvées bien longtemps, et en attendant je peux toujours jouer le jeu du rhéteur en le passant au fil de l’épée, par l’analyse attentive des procédés d’écriture sophistiques de son ouvrage dont Louise Michel n’aurait pas renié le titre.


« Révolution », donc. En bon philosophe, Macron propose un développement polysémique de ce terme, en omettant sa définition politique première : « changement brusque et violent dans la structure politique et social d’un Etat, qui se produit quand un groupe se révolte contre les autorités en place et prend le pouvoir » (Larousse). De cette définition-là il n’en garde qu’une évocation en conclusion : « les Français ont par le passé rêvé à peu près [de mon projet politique]. Ils ont fait la Révolution ». Non content de faire des révolutionnaires de 1789 (je doute que ce soit de celles de 1848 ou de 1871 qu’il a en tête) des rêveurs pas du tout motivés les uns par le besoin de manger à leur faim et les autres par la volonté de faire de leurs privilèges de bourgeois des privilèges d’oligarques, il s’en fait le digne et tout naturel héritier. Pour le reste, il voit dans la révolution à venir deux acceptions. La première est celle des technologies, de la robotisation et du numérique qui vont continuer à bouleverser nos sociétés dans les prochaines décennies. Il se propose donc de l’accompagner de la « révolution démocratique » qu’il compte mettre en place en tant que président. « Permettre à la nation de retrouver le mouvement créateur d’une grande histoire ». Oui mais encore ? La seule proposition concrète d’avancée démocratique dans tout l’essai est la suivante : « Pendant six à dix mois, dans chaque Etat, selon des modalités ouvertes, laissant la place aux choix des gouvernements et des collectivités, serait organisé un débat européen sur le contenu de l’action de l’Union, sur les politiques qu’elle mène, sur les priorités qu’elle doit avoir ». Des politiciens qui expliquent leur action au peuple sans lui demander son avis ou lui permettre de mieux l’exprimer, rien de plus. Et pour cause : « On ne doit réformer le cœur de nos institutions ou s’approcher de la loi fondamentale que la main tremblante. Nous le ferons en temps voulu ». Autrement dit jamais. La révolution démocratique de Macron n’est que celle d’un espoir vain d’apaisement entre dominants et dominés si les uns daignent être un peu plus pédagogique avec les autres. « Pourquoi la loi Travail a-t-elle suscité autant d’indignations ? […] parce que ni le président de la République, ni le premier ministre, n’avaient pris le temps de la clarté ». Là est le comble du mépris de classe : les foules sont trop stupides pour comprendre pourquoi elles manifestent, car en réalité elles n’en ont aucune.


En substance, la formule Macron est la même qu’un énième produit Apple : se vendre comme innovant à tout prix alors que ce n’est précisément pas ce qui le caractérise. Il ne manque pas d’astuce. La première étape est de décrédibiliser ceux de la classe politique qui, à droite comme à gauche, lui ont permis de monter les marches du pouvoir. Macron peut ainsi s’autoproclamer « anti-système », en invoquant invariablement le « réel » dont il se fait le porte-parole. « [La gauche et la droite] n’ont pas actualisé leurs systèmes de pensée au contact du réel qui nous entoure. Les grands partis cherchent en permanence des compromis imparfaits […] pour se présenter aux élections ». Il leur oppose un autre compromis, celui d’un « social-libéralisme » où l’on prend à peu près les mêmes en y rajoutant des dominants issus de la « société civile », consommant ainsi le mariage entre pouvoir politique et pouvoir économique, et on recommence. Avec un recul historique, les idéaux de Macron sont bien poussiéreux : celui de l’efficacité lui vient de De Gaulle et ses « forces vives de la nation » tandis que celui de dépassement des clivages politiques rappelle le temps des notables du XIXème siècle où l’on pouvait lire dans un dictionnaire politique de 1848 que « les factions sont les maladies du corps politique ». Un tel enfumage rappelle la fameuse citation du « Guépard » adapté au cinéma par Luchino Visconti : « il faut que tout change pour que rien ne change ». Cette maxime semble adaptée à n’importe quelle proposition de Macron, jusqu’à sa politique sécuritaire : « Certains politiciens, de droite comme de gauche […] proposent de renoncer à l’Etat de droit pour mieux protéger nos concitoyens. […] En réalité, face à ces risques, c’est une fermeté intransigeante et une autorité vraie qui s’imposent ». Car si Macron prévoie apparemment d’en finir avec l’état d’urgence, pour l’instant, il le prolonge : il ne faudrait pas se déposséder de ses moyens pour mater les mouvements sociaux à venir !


L’écran de fumée Macron perd finalement le plus de son épaisseur lorsque ce dernier explique les phénomènes économiques et le rôle que l’Etat doit avoir dans ce domaine. « Comment expliquer qu’une société comme Uber soit aujourd’hui en France la principale entreprise de véhicule avec chauffeurs […] ? » : en faisant l’éloge du succès de cette entreprise par les financements qu’elle a pu obtenir tout en omettant de préciser qu’elle prélève de 35 à plus de 50% des recettes des chauffeurs qui travaillent beaucoup plus que 35 heures par semaine, il fait la démonstration limpide des limites de sa perception du « réel ». Quant à l’Etat, l'accusation qu'on lui fait de vouloir le gérer comme une entreprise en appliquant les techniques de marketing politique jusque dans son action publique n’est pas si caricatural : « [L’Etat] doit devenir un véritable « investisseur social », qui considère les individus non pas selon ce qu’ils sont, mais selon ce qu’ils peuvent devenir et apporter à la collectivité ». La distopie en bande dessinée « HSE (Human Stock Exchange) » scénarisée par Xavier Dorison où les hommes peuvent être côtés en bourse trouve par un tel discours une inquiétante résonnance.
De son propre aveu, Macron ne parviendra pas à légitimer le néolibéralisme et encore moins à l’humaniser : « La France doit permettre […] d’humaniser ce capitalisme contemporain. Je ne sais pas si nous y parviendrons ». Il semble malheureusement bien parti pour acquérir une majorité aux législatives, mais tout dans ce livre porte à croire que Macron finira aussi détesté que les autres dans moins de cinq ans, et sa politique imposée à coup d’ordonnances pas plus légitime. Le voici prochain fantôme d’un système à bout de souffle (4). En attendant, j’irais bien suivre le seul conseil valable mais pour le moins hypocrite de notre ectoplasme en devenir : lire Marx.


(1) Voir l’article du Monde Diplomatique retraçant le parcours de Macron « Les vieux habits de l’homme neuf » : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/03/DENORD/57249
(2) C’était il y a tout juste un an, et vous ne pourrez pas m’accuser de faire de la propagande anti-Macron, c’est un extrait de BFMTV : https://www.youtube.com/watch?v=dtRvOs5vaC8
(3) Voir l’article du Monde Diplomatique « Le candidat des médias » : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/05/BENILDE/57494
(4) : Frédéric Lordon décrit dans son article « Macron, le spasme du système » en quoi il est le symptôme d’un essoufflement du néolibéralisme : https://blog.mondediplo.net/2017-04-12-Macron-le-spasme-du-systeme

Marius Jouanny

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