"Tais-toi ou meurs", hurle le père de Mark à l'adresse du chat, sortant exceptionnellement de sa léthargie habituelle. On est, vous en conviendrez, assez loin du titre original: "les choses que les petits-enfants devraient savoir".

Mark Oliver Everett, chanteur compositeur de Eels depuis un peu plus de 15 ans, apparait à beaucoup comme un mec difficile dans le business de la musique, un excentrique, un gars un (gros) poil barré. Un artiste, quoi.

En fait, Mark Oliver Everett n'est pas plus différent que certains d'entre nous, dans ce rapport que nous entretenons à la "vraie" vie: une distance perpétuelle, un recul permanent, une incompréhension profonde de ce qui nous entoure assez régulière. Toutefois, chez chacun de ceux qu'il frappe, cet écart à la norme est plus ou moins profond, et peut revêtir différentes formes (agressives, provocatrice, ironique...). Chez "E", l'expression de ce décalage prend la forme de superbes chansons douces-amères la plupart du temps, et exceptionnellement, d'un livre simple et pudique comme c'est le cas ici.

En faisant de la psychologie de comptoir, on pourrait expliquer la distance qu'entretient Mark Oliver et ce qui l'entoure par un environnement et un évènement.

L'environnement, c'est cette enfance qu'il partage avec une soeur qu'il aimera d'autant plus qu'elle n'aura pas eu, au final, la chance de s'en sortir comme lui. Entre un père extra-terrestre et mutique (un scientifique ayant travaillé toute sa vie sur les univers parallèles infinis, ouf !) avec qui il échangera guère plus de dix phrases et une mère frapadingue, qui n'ont en commun qu'une seule chose: une vision de l'éducation consistant à laisser totalement libre leurs enfants et les laisser expérimenter tout par eux-même, son enfance est... pour le moins chaotique et solitaire.

L'évènement sera la mort de tous ceux qui l'entourent (son père, sa sœur la semaine de la sortie de son premier disque à succès, une amie, et bientôt sa mère) au démarrage de sa carrière. De quoi vous faire voir la vie sous un autre angle.

Le livre emprunte la forme des chansons de Eels, telles qu'elles existent aujourd'hui. Connu en 1996 avec un album qui semblait terriblement dans l'air du temps par une énorme production omniprésente (alors que tout avait été fait au fond de sa cave et est sorti sur CD tel quel), les albums du groupe tendent au fil des années vers un dépouillement de plus en plus total, et une forme d'expression de plus en plus intime.

A l'image des extraits suivants, la langue (entendez par là: la traduction) est simple mais les réflexions amusantes, édifiantes, passionnantes. A l'image du bonhomme et de sa musique.
Un souvenir enfant: "je me revois, debout dans la salle de bain, au bord des larmes, ma mère essayant de me faire comprendre que le placard n'aurait pas mal si je le fermais trop fort. Je le voyais comme un de mes nombreux amis. Ma perplexité était peut-être liée au fait que je voyais mon père comme un meuble". (p34)

Un souvenir post-ado: "J'ai trouvé un boulot d'assistant du prof de musique dans un lycée de campagne pour enfants dérangés. J'aimais beaucoup ce job. J'étais bon et c'était valorisant. J'avais un groupe d'ados mentalement instable par cours (une bonne mise en train pour me préparer aux musiciens mentalement instables que j'allais devoir gérer plus tard dans mes groupes)." (p75)

Enfin, une réflexion de l'auteur au terme de son livre (le tome 1?): "Je ne suis sans doute pas le mec le plus équilibré du monde, pourtant si l'on prend tout en compte... j'ai survécu. Et ce, simplement en étant moi-même. C'est plutôt génial et miraculeux, non ?"

Grâce à ce livre, nous apprenons la définition par l'industrie d'une artiste "difficile": quelqu'un de simple qui se respecte en toute circonstance sans accepter de concession.
Ah mais ça, merde, on le savait déjà. Un nouvel exemple, alors. Un exemple brillant. En provenance d'un merveilleux monstre.

PS: Bon, puis ça, j'adore: "Les gamins ont une vraie compréhension des choses. Ils sont toujours réceptifs aux Beatles, par exemple. Peu importe leur année de naissance, ça marche à tous les coups. Trouvez-moi un gosse qui n'aime pas les Beatles, vous aurez que c'est de la mauvaise graine" (p169)
Haha !
guyness
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le 2 févr. 2012

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guyness

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