Krasnoïarsk, en Sibérie. Aliocha est à bord du transsibérien qui l'emporte inexorablement vers l'Est, vers sa caserne qu'il redoute tant. Aliocha a revêtu l'habit militaire : il est un conscrit venant de Moscou, voyageant avec ses nouveaux camarades, sous la responsabilité du sergent Letchov. Troupe hétéroclite et braillarde qui n'est pas parvenue à échapper à l'appel : sans piston, sans deniers suffisants pour acheter un fonctionnaire, sans jeune femme à mettre enceinte. Aliocha a vingt ans : il part vers l'inconnu. Et il est terrorisé. Krasnoïarsk : première tentative d'évasion. De désertion. Tentative avortée.
Krasnoïarsk, où Hélène – une française trentenaire – monte à bord du train mythique. Elle fuit. Et elle aussi est emportée en direction de cet Orient inconnu. Elle a suivi depuis Paris son amant russe qui travaillait en France et auquel on vient de proposer un poste à responsabilité dans sa Sibérie natale. Un poste en or, bien payé. Un poste qu'il ne pouvait pas refuser. Une occasion pour lui de rentrer au pays, de renouer avec son passé perdu. Oui bien sûr, Hélène accepte de le suivre. Elle l'aime. Ils s'aiment. Sauf que quelques mois plus tard Hélène craque et s'enfuit. Se rend à la gare et monte dans le premier train. Qui l'éloigne encore davantage de chez elle.
Hélène et Aliocha : deux âmes seules, deux âmes perdues qui se croisent, ne se comprennent pas mais se reconnaissent comme sœurs égarées. Coup de tête, coup de folie, Hélène cède à une impulsion et aide Aliocha à échapper à son destin kaki en le cachant dans son compartiment de première classe.
Un roman très court et agréable. Le lecteur est lui aussi entrainer à bord du transsibérien qui avance à 60 km/h avec une régularité de métronome. Le lecteur est dans ce même compartiment où se terre le déserteur et où la jeune femme tremble et s'agace de cet acte fou qu'elle vient de commettre sans l'avoir désiré. Avec eux, il regarde le paysage défiler lentement, cette forêt boréale infinie, entrecoupée de rivières glacées. Ils n'ont désormais plus le choix. Ils ne peuvent, ni l'un ni l'autre revenir en arrière. Aliocha a déserté. Impossible d'entrer à nouveau dans le rang. Impossible de revenir chez lui et de retrouver les siens. Hélène ne peut plus renvoyer ce gosse à sa condition première d'où elle l'a tiré de façon si inconsidérée. Tel ce train qui poursuit sa route, ils doivent aller de l'avant.
D'une belle écriture, entièrement narrative et sans dialogue, l'auteure conte cette évasion de façon extraordinaire : sans lui demander son avis et en lui laissant aussi peu de choix qu'elle n'en a laissé à ses personnages, Maylis de Kerangal propulse le lecteur dans le train, dans le compartiment, dans le feu de l'action tout en restant elle-même en retrait – jamais elle n'emploiera un « je », préférant rester cachée derrière l'utilisation de la troisième personne. Un bon moment de lecture qui m'accaparé. Moi aussi, j'ai envie de contempler le Baïkal.
BibliOrnitho
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Le 12 juillet 2012

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