Jeanne est la fille unique du baron du Perthuis des Vauds. Sitôt sortie du couvent dans lequel elle a passé son enfance et son adolescence, Jeanne est conduite aux Peuples, propriété familiale sise au bord de la falaise du Pays de Caux, dominant la mer et le petit village d’Yport près de Fécamp. Cette propriété lui reviendra à son mariage. Jeanne est donc chez elle et s’en montre ravie.
Jeanne découvre tout : la campagne, la mer, les fermes appartenant à son domaine, ses paysans, la domesticité, Yport et sa plage de galets, l’abbé Picot – ecclésiastique ventru et intelligent, sachant se montrer tolérant et compréhensif avec ses ouailles. Elle découvre surtout l’amour sous les traits du vicomte Julien de Lamare : amour que la jeune fille ignorante de la vie confond avec amitié. Julien a trouvé la cruche parfaite : belle, riche et naïve. Il travaille si bien que la main de la demoiselle lui est accordée trois mois après leur première rencontre : une affaire rondement menée.
Jeanne découvre que l’amour ne se limite pas à se regarder dans le blanc des yeux. Julien a d’autres attentes : la jeune fille se retrouve vite au lit et ressent une vive douleur dans le bas ventre avant même qu’elle n’ait eu le temps de comprendre ce que son époux bestial lui voulait. C’est sa première grande désillusion. Il y en aura d’autres. Celle-ci n’est finalement pas très grave : même si elle n’y prend aucun plaisir, Jeanne s’habitue rapidement à son nouveau rôle d’objet sexuel destiné à satisfaire un mari en rut – elle n’a pas non plus tellement le choix : n’appartient-elle pas corps et âme à son époux ?
Le couple part en voyage de noces en Corse. Pour la belle normande, l’île de beauté est une révélation. Parfaitement heureuse, elle finit même par ressentir du désir pour son Julien et peut-être enfin le véritable amour. Le lecteur imagine que cet éveil à la sexualité va ravir le mari. Mais c’est sans compter l’inconstance de l’homme. Sitôt rentré at home, Julien n’entre plus que rarement dans la chambre de sa femme. Jadis oppressée par l’ardeur de son mâle, Jeanne connaît désormais la frustration.
Puis, coup de théâtre, Rosalie – sa bonne et accessoirement sa sœur de lait – tombe enceinte et refuse de révéler l’identité du père. Il n’y a évidemment que l’ingénue vicomtesse pour ne pas se douter du drame qui couve. Le pot aux roses finit toutefois par être découvert, juste au moment où Jeanne apprend sa propre grossesse. Les deux sœurs de lait mettront donc au monde deux demi-frères. L’abbé Picot n’est pas surpris : selon lui, ce petit coin de Normandie est un véritable baisodrome. Tout le monde couche avec tout le monde et généralement un mariage est consommé avant même d’être célébré.
Jeanne l’a toutefois bien mauvaise. Rosalie est éloignée et installée dans une ferme des environs. Elle est mariée rapidement pour éviter le scandale car si les mœurs sont légères, les apparences doivent toutefois être sauvées. Son adultère de mari n’en reste néanmoins pas là. Et comme tous les mâles de la planète, programmés pour répandre ses gènes le plus largement possible, Monsieur le vicomte alla tremper sa nouille dans les entrailles de la comtesse de Fourville. Jeanne est malheureusement peu sensible à cet atavisme masculin. Elle est écœurée et vire misanthrope. Elle se réfugie dans la solitude et se consacre entièrement à son fils.
Fils, qui en grandissant, va lui apporter à son tour son lot de malheurs…
Au Panthéon des vies merdiques, celle de Jeanne n’est probablement pas loin du sommet. Maupassant s’est véritablement acharné sur son personnage, ne lui épargnant rien. Jeanne est ingénue, naïve, passive. Sans doute un peu lâche. Son éducation chez les bonnes sœurs n’a probablement pas beaucoup développé son caractère, ni sollicité son esprit de rébellion : Jeanne, tout au long du livre, se contente de se lamenter sur son sort, de pleurer, d’encaisser les coups et de survivre dans l’angoisse de la prochaine gifle que le destin voudra bien lui asséner. Même si elle n’est pas bigote, elle est profondément croyante, vit dans la crainte du Seigneur et tend l’autre joue.
Mais on prend Jeanne en pitié. Elle est entière, bonne et donne sans compter pour recevoir bien peu en contrepartie. On souffre avec elle en se demandant quand le sort voudra bien la laisser en paix. C’est très dur, mais également magnifique. La prose de Maupassant, l’atmosphère austère de son petit coin de Normandie inculte est parfaitement campée (pour autant que je puisse en juger). L’imbécilité et la rudesse des paysans, l’intolérance d’une certaine branche du clergé, la domination de ce clergé allié à la noblesse sur les petites gens (et ce, trente ans seulement après la Révolution), la domination de l’homme sur le genre féminin, les superstitions… Le tableau brossé par Maupassant est complet et passionnant.
Mon premier Maupassant, à l’exception d’une courte nouvelle lue l’an dernier. Une lacune en moins dans ma culture : et si ce ne fut pas non plus une révélation, ma lecture m’a tout de même donné envie de poursuivre ma découverte de cet écrivain trop longtemps négligé.