Dans ce deuxième tome du cycle romanesque qu’est La Recherche, on retrouve le narrateur adolescent puis proche de l’âge adulte. Le roman est rythmé par deux figures féminines importantes : Gilberte dans la première partie ; Albertine dans la seconde partie. Ainsi, le roman se double thématiquement d’une part d’une peinture de la société mondaine parisienne dans la première partie, et d’autre part, d’une peinture de l’aristocratie et de la bourgeoisie en vacances à Balbec, une station balnéaire imaginaire entre la Bretagne et la Normandie. C’est le roman de l’éveil amoureux (Gilberte puis Albertine qu’on retrouvera dans les tomes suivants), des premières décisions sur la vocation d’artiste (rencontre avec Bergotte, amitié avec le peintre impressionniste Elstir) et des premières vraies désillusions ou du moins difficultés rencontrées vis à vis de la gente féminine.
Ce roman, comme le premier tome, est fulgurant par ses réflexions sur l’Art, la nature humaine, l’expérience humaine et par ses descriptions sublimes et incomparables que peint le narrateur avec cette force et cette virtuosité incroyable bien connues. Ce qui me touche le plus avec Proust, c’est cette conscience de la multitude de vie qui existe en dehors de la réalité tangible ou encore de l’impermanence du moi. De même, l’expérience sensorielle chez Proust est poussée à son maximum, et si avec ce style (la syntaxe mon dieu… à la fois époustouflant et parfois rebutant à certains égards) il faut s’accrocher, le jeu en vaut la chandelle. En fait, Proust c’est des réflexions qui semblent familières à nombre d’entre nous mais rarement formulées, en littérature (et pas que d’ailleurs). Du fait de son âge, la critique mondaine par le narrateur n’est pas aussi frontale et féroce que dans Un amour de Swann (II, Du côté de chez Swann). Mais j’imagine que ce ne serait tardé. Ainsi, l'humour en est un peu impacté, je l'ai trouvé moins présent. Une autre chose qui m’a gêné, c’est la capacité du narrateur à paraître froid ou du moins dur dans ces appréciations notamment vis à vis des femmes ou des jeunes filles :
J’avais remplacé au fond du cerveau de ces jeunes filles le mépris de la chasteté, le souvenir de quotidiennes passades, par d’honnêtes principes capables peut-être de fléchir, mais ayant jusqu’ici préservé de tout écart celles qui les avaient reçus de leur milieu bourgeois. Or quand on s’est trompé dès le début, même pour les petites choses, quand une erreur de supposition ou de souvenirs vous fait chercher l’auteur d’un potin malveillant ou l’endroit où on a égaré un objet dans une fausse direction, il peut arriver qu’on ne découvre son erreur que pour lui substituer non pas la vérité, mais une autre erreur. Je tirais, en ce qui concernait leur manière de vivre et la conduite à tenir avec elles, toutes les conséquences du mot innocence que j’avais lu, en causant familièrement avec elles, sur leur visage.
Son rapport à l’autre sexe se fait paradoxal : à la fois, ce sont les seules vraies figures de confiance (la mère, la grand-mère) et, à la fois, les figures de la plus grande méfiance voire d’une souffrance naissante (Gilberte, Albertine). Cette froideur du narrateur creuse une certaine distance, en plus de présenter une conception de l’amour problématique (mais c’est bien sûr très conscient du narrateur adulte qui revient sur la vie, j’en suis sûre). De plus, le narrateur se démotive et fait preuve d’une certaine paresse déjà esquissée dans le premier tome, ce qui peut être irritant.
De façon générale, je pense être passée à côté du roman, car je l’ai lu à une période où je ne pouvais pas investir le temps et l’attention que La Recherche nécessite. Ce n’en fait pas un mauvais roman, mais j’ai eu du mal à le lire régulièrement malgré des thématiques qui m’ont beaucoup touchée : pas la faute du roman du coup. Pour autant, je ne pense définitivement pas que ce roman soit l’un des meilleurs de La Recherche. Toutefois, j’attends impatiemment Sodome et Gomorrhe et Le Temps retrouvé donc je prévois de m’adonner à lire le reste très rapidement lorsque j’aurai plus de temps.