Endroit et envers de la société japonaise

D’origine japonaise et installée au Canada, Aki Shimazaki entame avec Ajisaï sa cinquième pentalogie, toujours écrite en français. Sous ce titre signifiant Hortensia et symbolisant l’amour d’une femme, elle aborde avec sa sobriété et sa poésie habituelles de nombreux traits typiques de la société japonaise, tout en développant un thème des plus universels.


Le motif central est classique, c’est sa déclinaison particulière, comme une variation contemporaine et locale illustrant son intemporalité archétypale, qui fait la saveur et la valeur de cette histoire. Aspirant écrivain, Shôta l’étudiant en littérature hésite d’autant plus à poursuivre jusqu’au doctorat des études onéreuses ne débouchant que sur de rares et prestigieux postes en université, que la faillite de son père, jusqu’ici prospère propriétaire d’un grand magasin, le contraint à s’autofinancer. Par chance, il décroche, en complément de ses heures le soir dans une librairie, un emploi de house-sitting lui garantissant le gîte sur la propriété de campagne d’un couple fortuné. Mais voilà que sa rencontre avec la maîtresse des lieux, la belle et malheureuse en ménage madame Oda, vient troubler leurs sentiments à tous deux, déclenchant une passion fleurant l’interdit et la tragédie.


D’une trompeuse simplicité, le récit tire sa subtilité des mille et infinies nuances qui, par petits et précis coups de pinceaux, laissent apercevoir la profondeur des non-dits sous la surface à la poésie un peu froide d’une narration consacrée avant tout aux actes et comportements observables. Dans cette peinture japonaise, pas de démonstrations émotives, mais des protagonistes faisant simplement face, sans se plaindre ni se rebeller, à l’invisible mais omniprésent maillage des attentes et des contraintes sociales. Pourtant, les difficultés et la détresse psychologique foisonnent à tous les niveaux, qu’il s’agisse de la crise économique et de la honte de la faillite, de l’hyper-compétition dans un système éducatif coûteux ne garantissant pas forcément de débouchés, de la tentation du suicide en cas d’échec et de la difficulté des femmes à vivre libres et indépendantes. C’est ainsi que cette histoire que l’on pourrait à tort juger plutôt convenue et sans surprise finit par dessiner en filigrane, dans la chair et dans l’âme de ses personnages, l’envers de la société japonaise contemporaine, le conservatisme de ses traditions et son écrasante pression sociale.


Après les émotions conflictuelles du jeune Shôta, déchiré entre l’intensité de ses sentiments et le respect des convenances, l’on attendra avec impatience le point de vue des autres caractères, dont cette femme en quête d’émancipation, l’auteur nous ayant accoutumés à décliner la même histoire sous différents angles au fil des tomes, par ailleurs abordables indépendamment les uns des autres, de ses pentalogies.


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Cannetille
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le 11 juil. 2025

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