Retrouver le passé pour solder l’inutilité du présent

L’Avenue des mystères est un pur roman de John Irving où le lecteur retrouve des fondamentaux du style de l’auteur. Il y demeure les raisons de personnages souvent marginalisés par la vie, le télescopage de moments narratifs rentrant souvent en résonance mais aussi un cocktail détonnant de picaresque, de comique, d’absurde teinté aussi d’une grande profondeur émotionnelle. Dans L’Avenue des mystères, l’auteur américain s’attache à nous faire revivre l’adolescence de Juan Diego Guerrero au Mexique, désormais un écrivain vieillissant, car beaucoup de choses s’y sont jouées (son rapport à la lecture et à la connaissance en autodidacte,son handicap au pied suite à une mauvaise manœuvre de pick-up, la mort accidentelle de ses proches, une rencontre déterminante le faisant partir dans l’Iowa entre autres). Le voyage que Juan Diego entreprend aux Philippines pour honorer la promesse qu’il a fait à un mourrant n’est qu’un prétexte pour revisiter son existence, ses bons moments comme ses drames mais aussi son rapport à la religion car deux miracles sont apparus sur la Vierge à des moments bien précis de son histoire familiale. John Irving, en plongeant régulièrement Juan Diego dans le sommeil aux Philippines, ne le fait pas par hasard. Il s’agit d’un dispositif littéraire pour retrouver urgemment son passé ( fait de péripéties diverses et de compagnie) et solder l’inutilité de son présent où il se sent balloté, démuni et donc vraiment seul. Le lecteur doit bien évidemment accepter ces parenthèses d’inconscience pour renouer avec un passé plutôt linéaire dans son déroulement, où le rêve est une passerelle vers une vie revécue, réanalysée et remise en perspective. Au niveau des personnages, comment ne pas s’attacher à la famille singulière de Juan Diego ( avec sa sœur Lupe en tête, coupée des autres avec un problème aux cordes vocales mais aussi directe qu’extralucide) ainsi qu’à son entourage protecteur de jésuites ( Pepe, le père Octavio ou encore Édouard Bonshaw qui va percevoir son potentiel pour l’arracher à sa dure vie d’enfant des décharges tout en tombant amoureux de Flor, un travesti)Du côté philippin, le personnage exhubérant de Clark ( ancien étudiant de Juan Diego devenu aussi écrivain) et le couple mère/ fille ( Miriam/Doroty) aussi retors que mystérieux sont hauts en couleur et procurent des scènes d’une folie incroyable. Le but de l’histoire de John Irving, dans un entrelacement savant de circonstances et d’événements, est aussi de se poser la place de la spiritualité dans le réel, comment le païen et le religieux finissent bel et bien par coexister malgré leurs interférences évidentes mais aussi de statuer que chaque humain est alimenté par des événements aussi lumineux qu’étranges dans une vie. Après être passé par une multitude de récits imbriqués et des émotions intenses, vous vous retrouvez face à un épilogue finalement logique bien qu’il laisse un peu sur sa faim. Qu’importe John Irving aura encore commis l’exploit d’une œuvre aussi inattendue que renversante et lire ce dernier roman paru me fait dire que ce formidable conteur en a encore sous le pied, et qu’on aura de la peine lorsque la vie lui aura intimé de se diriger vers sa propre fin, qu’il n’aura pas écrite en funambule habité.

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le 8 mai 2023

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