Un jour, dans l’Anthologie de la poésie française de Georges Pompidou, je tombe par hasard sur un extrait de Bérénice. C’est la scène V de l’acte IV, qui réunit les plus belles tirades de la pièce. Sans rien connaître de l’histoire, les mots me bouleversent.
Je ne me doutais pas que l’intrigue n’était pas beaucoup plus complexe que ce que ces tirades en laissaient comprendre. Un empereur romain amoureux doit se séparer de la femme qu’il aime car les lois de Rome l’empêchent d’épouser une reine étrangère. Voilà, c’est tout, du début à la fin la pièce raconte cette histoire de séparation. Pas de morts, pas de guerre, pas de sang, pas de suicides : juste une grande scène de rupture amoureuse.
Voilà ce que cette pièce de Racine a de plus génial : raconter une histoire très simple, n’impliquant pas plus de trois personnages principaux, que tout lecteur peut comprendre aisément, a fortiori si lui-même a déjà vécu une séparation. C’est d’ailleurs dans une préface absolument brillante que Racine explique sa démarche artistique privilégiant le dépouillement de l’intrigue pour laisser place à l’intensité des sentiments. Le plus fort, c’est que le cadre du récit s’efface au contact de la simplicité, la pureté de l’enjeu : on a beau se retrouver au milieu des palais romains, d’empereurs et de reines antiques, rien ne nous sépare d’eux parce que leurs peines de cœurs touchent à l’humanité au sens le plus large.
Évidemment, il n’est guère besoin de préciser que c’est écrit avec un génie incomparable, chaque alexandrin est composé avec une précision d’orfèvre et les tirades sont bâties avec un esprit d’architecte quasi-divin.
En bref, il faut vite dépoussiérer cette œuvre qui pourrait sembler sortir d’une terreur nocturne ravivant des PTSD de classes de français et se plonger dans la redécouverte de ce joyau littéraire.