Cicéron, philosophe mort pour la République romaine.

Il est clair que le combat pour la démocratie ne date pas d’hier. Nombreuses étaient les références à la démocratie romaine et athénienne lors de la Révolution française car l’héritage républicain trouve ses racines dans l’Antiquité. Cicéron est peut-être la première figure d’une certaine idée de la République, ou devrait-on dire de la chose publique (Res publica). Cet objet immatériel appartenant au peuple de la cité, à celui dont est composé la pluralité souveraine, les citoyens.

Face aux tentations tyranniques des politiques, il n’y a rien de surprenant que Zweig ait pris le temps de rédiger la biographie, si courte soit-elle, d’un homme mort face à ceux qu’il a tant méprisés. L’auteur est lui-même largement critique des idéologies haineuses et belliqueuses de son époque, celles qui guideront l’Europe dans les ténèbres. Les derniers remparts de la civilisation pacifique résident dans la pensée des hommes et des femmes qui identifient la source du mal. Ils en payent généralement le prix de leur vie, pensant œuvrer pour un idéal qui les transcende, pour un amour qu’ils ont porté seuls comme un fardeau.

Cicéron a mené une vie riche en expériences. Il a été chef de guerre, philosophe, sénateur, avocat et écrivain. Zweig tient compte de tout son héritage philosophique et intellectuel afin de cerner l’image d’un homme érudit, un penseur. Cependant, l’objet même de cette courte biographie démontre autre chose. Il s’agit en réalité de l’histoire d’un accomplissement. Il est toujours passionnant de s’interroger sur la philosophie d’un homme, de comprendre ses idées et sa conception du monde. Mais qu’en est-il de ses actes ? Qu’est-ce que la sagesse du discernement lorsqu’elle demeure dans l’ombre ? Cicéron était un homme fatigué du temps lorsque César s’arroge les pleins pouvoirs. Sexagénaire, il se consacre à ses œuvres philosophiques car il tient à immortaliser ses pensées pour son fils. Étant conscient du danger que couraient la République et son peuple, la sagesse lui a certainement conseillé l’exil et le retrait politique définitif.

Ce choix n’a pas été le sien et peut-être qu’il ne lui a jamais appartenu. Hegel parle du sens de l’histoire parce que cette dernière s’empare des personnages influents. Ils n’agissent que pour accomplir ce qui doit être, non pas ce qui est. Car la cohérence philosophique implique un engagement solennel envers l’Histoire. Zweig le sait, c’est pourquoi il s’intéresse à ces personnalités (Cicéron, Montaigne, Magellan, Marie-Antoinette, Marie Stuart), ces figures pathétiques qui même dans la défaite, trouvent une victoire supérieure, le triomphe moral. Répondant par les valeurs qui les composent, le raisonnement moral mène inéluctablement vers la mort. Celui de Cicéron a été de dire ce qu’il pensait en ces temps troubles après la mort de César et de dénoncer la soif de pouvoir autoritaire d’Antoine. Ce dernier n’oubliera pas cet affront politique. Le pouvoir au peuple ou la mort du peuple, tel est le constat que Cicéron fait et c’est le dernier qu’il fera.

Proscrit par les nouveaux césars puis recherché et exécuté par les centurions, sa tête et ses mains exposées sur la place publique démontrent ironiquement les membres corporels que le peuple a lui-même perdus pour les siècles à venir. Sa tête pour user librement de sa réflexion et ses mains pour la concrétiser.