"Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux ", coup de coeur !!!

Bonjour àtous,

Je tiens à faire partager ce coup de coeur, très récent. Il date de hier soir. J' ai dévoré ce livre et suis conquis.

Mais, tout d' abord, nous pouvons dire, en toute objectvité, que, malheureusement, l 'école nous a tellement rebattu les oreilles avec l'amitié entre Montaigne et La Boétie que ce dernier n'existe guère que comme l'ami de l'auteur des Essais. C'est une manière de rendre justice à La Boétie que de se plonger dans ce Discours. On y trouvera une leçon magistrale de politique, aussi utile que dérangeante, et de surcroît rédigée dans une langue digne de Ciceron. Un maître livre d'une quarantaine de pages, qui pulvérise quelques tenaces idées reçues, écrit par un gamin de seize ou dix-huit ans.

Texte archi-célèbre de La Boétie (dont la sublime amitié avec Montaigne fut non moins célèbre), texte porté en étendard à chaque grande insurrection populaire ; il faut dire que ce discours est d'une force rare, à la fois précis, efficace, pétri de culture classique et appel à la liberté d'esprit plus qu'à l'insurrection. Et écrit par un tout jeune homme de 18 ans, ça calme.

La Boétie commence par un rappel qui frappe d'évidence : la peur du tyran est ridicule, ce dernier étant un homme comme les autres, que le peuple pourrait faire tomber avec une facilité déconcertante. Mais voilà... en a-t-il envie ? Aujourd'hui, en Occident, les tyrans n'ont pas vraiment disparu, ils ne font plus couler le sang des corps mais continuent d'asservir les esprits ; ils ont changé de forme et de visage et prennent parfois l'apparence d'une télévision, d'une publicité, d'un discours idéologique bien-pensant ou d'un appel larvé à la troupeauïsation décérébrante, appel toujours religieusement écouté. Comment ne pas voir dans cette modernité l'une des dérives de cette fameuse "servitude volontaire" décrit par La Boétie il y a presque 5 siècles dans une perspective disons plus tocquevillienne ?

Réflexion sur l'habitude et l'habitus, sur la peur et le refus de la liberté, sur le modèle organisationnel de la tyrannie (passage sur le système pyramidal, extraordinaire de lucidité) comme sur le suicide du peuple, ce texte classique est un pur joyau de notre patrimoine. Et la question, toujours hélas, demeurera : voulez-vous vivre en Maître (de vous-même) ou en esclave (de fantoches) ?

Claude Lefort rapprochait La Boétie de Machiavel car l'un et l'autre, les seuls en leur siècle s'agissant proprement du politique, mais combien parlant en leur isolement, tirent radicalement les conséquences du surgissement d'une figure inédite de la domination et parlent du même coup pour l'avenir.

"Pour le moment, je désirerais seulement qu'on me fit comprendre comment il se peut que tant d'hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d'un Tyran seul, qui n'a de puissance que celle qu'on lui donne, qui n'a de pouvoir de leur nuire, qu'autant qu'ils veulent bien l'endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s'ils n'aimaient mieux souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu'il faut plutôt en gémir que s'en étonner)! c'est de voir des millions et de millions d'hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu'ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu'ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d'un, qu'ils ne devraient redouter, puisqu'il est seul, ni chérir, puisqu'il est, envers eux tous, inhumain et cruel."

L'exigence de liberté est radicale :

"Si pour avoir la liberté, il ne faut que la désirer; s'il ne suffit pour cela que du vouloir, se trouvera-t-il une nation au monde qui croie la payer trop cher en l'acquérant par un simple souhait ? Et qui regrette sa volonté à recouvrer un bien qu'on devrait racheter au prix du sang, et dont la seule perte rend à tout homme d'honneur la vie amère et la mort bienfaisante ?"

Comme l'explicite l'auteur, "la première raison de la servitude volontaire, c'est l'habitude" :

"Il est vrai de dire, qu'au commencement, c'est bien malgré soi et par force que l'on sert; mais ensuite on s'y fait et ceux qui viennent après, n'ayant jamais connu la liberté, ne sachant pas même ce que c'est, servent sans regret et font volontairement ce que leurs pères n'avaient fait que par contrainte."

Les Tyrans savent amuser / droguer le peuple :

"Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les peuples anciens les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie."

L'auteur poursuit par une superbe critique que nous transposons immédiatement dans notre actualité de la société de communication et de publicité qui prévaut sur celle du sens, du signifié, du politique :

"Ainsi, les peuples abrutis, trouvant beau tous ces passetemps, amusés d'un vain plaisir qui les éblouissait, s'habituaient à servir aussi niaisement mais plus mal encore que les petits enfants n'apprennent à lire avec des images enluminées."

Lire et relire Etienne de la Boétie vous conduit à mieux comprendre les limites du discours politique démocratique et révolutionnaire. C'est se doter d'une table de questions, vivante, sur la liberté politique.....

de La Boëtie apporte dans ce livre une part des lumières dont l'humanité peut s'honorer. J'aime profondément ce livre pour l'amour de la liberté qui le traverse et ce, d'une manière si essentielle. D'ailleurs, l'émotion qui me reste de ce discours est bien moins politique que philosophique. Aussi je souffre toujours un peu quand je vois l'utilisation politique qu'en font ceux qui ne veulent qu'être calife à la place du calife… Changer de maître n'a jamais libéré l'esclave, n'est-ce pas? Rousseau, nous lie dira bien, dans son discours sur les sciences et les arts.....

Vous avez une heure devant vous? Passez-la sur ce livre, elle ne sera pas perdue.

On peine à croire qu'un homme ait pu penser ça au milieu du 16ème siècle. Parce qu'il a occupé des postes qui lui ont permis d'observer le fonctionnement de la société depuis le commandement jusqu'aux commandés, le jeune La Boétie pose cette question simple: Pourquoi obéissons-nous au tyran?
Nous sommes si nombreux, tandis qu'il est vil et si ...seul. Il semble qu'il suffirait de ne plus lui obéir pour le déposséder de tout pouvoir !
"Ils ne sont grands que parce que nous sommes à genoux", disait La Boétie.

La principale raison est tout simplement l'HABITUDE. Comme La Boétie le dit dans son analyse: "On ne regrette jamais ce qu'on n'a jamais eu." A cette époque et depuis des centenaires, l'état de servitude et la privation de liberté pouvaient paraître comme l'état naturel des hommes (celui de tous les hommes, à l'exception du tyran, bien sûr).
Il identifie aussi d'autres artifices (superstitions, magie, prestige, etc.) jouant un rôle pour cantonner le peuple dans la servitude, mais aux effets moindres sur une partie de la société (la moins crédule).

La Boétie faisait partie de ces rares personnes qui ne "s'apprivoisent jamais à la sujétion" (je suppose que sa culture n'y était pas pour rien). Petite consolation: il avait constaté que ceux qui "souffraient" le plus, étaient les quelques subordonnés directs du tyran, les "petits tyrans", c'est-à-dire ces "maillons" entre le tyran et le peuple. Ils étaient détestés du peuple d'une part et toujours à la merci du tyran capricieux et tout-puissant.

Le manuscrit de La Boétie fut publié en 1576, soit 13 ans après son décès. Sage précaution que de mourir avant...
Comment faire publier cet ouvrage sous une monarchie, sans en subir quelques "désagréments"?
Anne du Bourg, l'ancien professeur de droit de La Boétie lui-même a fini pendu et brûlé pour avoir pris position pour les huguenots (les protestants de France).

C'est une étude à la fois politique et psychologique. Un texte très court, limpide et d'une valeur intemporelle. Tant qu'il y aura des humains, et probablement quelque soit le régime politique, des rapports de domination-servitude pourront s'installer. Vigilance, donc!

Sur ce, bonne lecture à tous. Lisez ce fameux discours de La boétie. Peut-être verrez-vous les choses sous un autre angle, après mure reflexion..... Portez vous bien. Continuez à lire. Lire est plus qu' essentiel. C' est vital. Tcho. @ +.
ClementLeroy
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le 19 févr. 2015

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San  Bardamu

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