Dans un patelin paumé de la Picardie profonde et ouvrière : le collège et, juste en face, l’usine locale. Les gosses vont à l’école de la République jusqu’à 16 ans pour pas faire sauter les alloc’ de papa et maman qui ne pourraient survivre sans. Mais sitôt le 16e anniversaire révolu, beaucoup d’entre eux traversent la rue pour entrer dans la vraie vie : celle où il faut bosser pour rapporter de la tune !


Ici, le baccalauréat, on ne sait pas bien ce que c’est. On hésite un peu entre une maladie contagieuse et un truc pire encore. Dans ce bled, les femmes sont à la maison à faire à bouffer, les courses, le ménage et torcher les mômes tandis que les mecs (viriles et tout) passent leur temps entre l’usine, le bistrot et la téloche ! On parle un langage prolétaire. On rote, on pète. On sèche l’école quand papa a besoin d’un coup de main pour rapporter les packs de bière du supermarché. On ne lit surtout pas, terrorisé qu’on est par la culture. On ne bouffe que des frites et des pâtes à table parce que les légumes c’est pour les tapettes. Et surtout, on n’aime ni les noirs ni les bougnoules qu’on ne connait pourtant pas !


Alors que dire des homosexuels ?


Eddy, lui, a toujours été un peu efféminé. Il parle avec les mains, s’agite en tous sens, marche en se déhanchant, parle d’une voix fluette, ne supporte pas le football, n’aime pas rester six heures par jour devant la télé, déteste le catch, n’a pas de copine, aime le théâtre et obtient de relatives bonnes notes en classe. Ne fait rien comme tout le monde. La honte de ses parents. La risée du collège, du village. Homophobie.


Ses petits camarades l’insultent, le huent, le cognent. Brimades en tout genre. De façon répétée. Eddy reste passif. A croire qu’il aime ça.


C’est son adolescence que l’auteur met en scène. Eddy Bellegueule est son nom de baptême avant que l’Etat civil ne lui accorde de choisir un nom moins tapageur. Le portrait qu’il dresse de son bled n’est pas tendre. Je suis même à deux doigts de le croire caricatural et d’espérer qu’Edouard Louis a forcé le trait, sombré dans la surenchère : ça ne peut pas être vrai ? Pas à ce point ? Si ?


J’aime beaucoup l’écriture : vive, alerte, riche sans être lourde et intelligemment entrecoupée d’apartés en italique donnant la parole aux différents personnages s’exprimant dans leur langue fleurie. Grossière. Deux niveaux de langage intimement mêlés que j’ai trouvé fort bien venus dans cette critique sociale acerbe. Eddy tente d’abord de rentrer dans le rang, de se plier aux exigences de sa caste. Sans succès : les relations hétérosexuelles le dégoutent, tout comme le sport et les cuites du samedi soir. Il tente alors de s’évader. De quitter ce monde qui n’est pas le sien. De vivre la vie qui est la sienne et de laisser derrière lui celle de ses parents…


Agréable, incisif, mais aussi violent, dérangeant. L’éveil à la sexualité est décrit sans fioriture. Un chat est un chat et une bite est une bite : lecture à réserver à un public averti.

BibliOrnitho
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le 2 mai 2014

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