Amitié, beuveries et cris dans la nuit

Avec le Conan d'Howard, voici donc l'autre grand représentant de la "sword and sorcery"... Son auteur, Leiber, est même carrément l'inventeur du terme !


Vous allez me dire que le genre en question est assez limité. De plus, Leiber étant, à l'instar d'Howard, un auteur de pulp à ses débuts, la variété ne risque pas d'être au rendez-vous et on va se remanger des gros barbares qui défouraillent tout et se choppent toutes les gonzesses du coin... Ce n'est pas tout à fait vrai. Si Leiber semble effectivement un quasi-successeur d'Howard en débutant son cycle dans le magazine pulp Unknown en 1939, il s'en est ensuite forcément dégagé en travaillant sur cet univers pendant toute sa vie ! Ainsi, le dernier volume de la saga, Le Crépuscule des Épées, date de... 1988 !
Les différentes critiques que j'ai pu lire me promettaient ainsi une grande diversité de ton dans les multiples nouvelles et l'unique roman du cycle. Vérifions cela par nous-mêmes !


Ce premier tome est une véritable introduction. L'avantage, c'est que donner un récit des origines à ses personnages permet de crédibiliser ces derniers, si on s'y prend bien. Je suis d'ailleurs particulièrement friand du procédé (qui m'a permis de voir d'un nouvel œil des personnages tels que James Bond ou Batman). A contrario, il y a évidemment le risque de commettre quelque chose de lourdaud et d'artificiel... A mon humble avis, Épées et démons se situe quelque part entre ces deux opposés, mais plus largement du côté des réussites.


Le livre contient trois nouvelles qui furent écrites dans les années 60 et 70, à un moment où l'auteur connaissait donc déjà très bien ses personnages. La première, Les Femmes des neiges, présente la jeunesse du héros barbare Fafhrd. On est assez éloigné de Conan, qui représente un Gaël fantasmé, pour quelque chose qui ressemble davantage à un mode de vie Viking (toujours fantasmé, ceci dit). Le clan de Fafhrd se présente comme un patriarcat classique qui n'est qu'une illusion entretenue par les femmes qui détiennent le vrai pouvoir grâce à leur magie de glace. Tout homme un peu trop libertin ou désobéissant se voit ainsi victime d'un "accident" qui semble toujours imputé aux inconvénients classiques d'un pays froid (chutes de neige brusques, terrain glissant, corde rompue par le gel...). A l'occasion, ledit accident peut même s'avérer mortel...


Un souffle paranoïaque très réussi plane donc sur toute cette histoire qui présente un jeune barbare roux, apprenti scalde, qui est littéralement étouffé par sa mère et sa petite amie... et qui décide donc de partir pour changer de vie. Mais les femmes ne le laisseront pas faire si facilement. On alterne entre passage comique et scènes malsaines, presque hallucinées, pour un résultat plein de fraicheur (sans mauvais jeu de mots) et qui augure du meilleur pour la suite.


Le Rituel profané, ensuite, est la nouvelle de présentation du Souricier Gris. Pas la moindre trace d'humour ici, pour la nouvelle la plus étouffante du recueil. L'histoire n'est pas follement originale, loin de là, mais le personnage l'est. Apprenti d'un Mage blanc qu'il vénère, le Souricier Gris est cependant attiré par la magie noire. Ces deux extrêmes de sa personnalité lui ont valu son surnom, et font un beau pied de nez au manichéisme souvent alloué à la fantasy (mais c'est une caractéristique commune dans la sword and sorcery, appelée aussi héroic-fantasy) Cependant l'action de la nouvelle est très lente et les événements ne surprennent guère, sauf à la fin, qui fait un clin d'oeil assez inattendu à Lovecraft. Le résultat global est assez étrange mais intéressant.


Enfin, Mauvaise rencontre à Lankhmar est le récit de la... rencontre de ces deux héros dans la cité qui donne parfois son nom au Cycle des Épées. Récit de cambriolage, passes d'armes improvisées, amitié, beuveries dantesques, vantardises et plans foireux délivrent un sympathique récit picaresque qui n'oublie pas le drame et la noirceur étouffante qu'on retrouvait déjà dans les autres nouvelles. L'aspect urbain, bien qu'encore assez vague, est plutôt bien exploité et offre une vraie atmosphère qui démarque totalement ce récit d'une histoire de Conan. On devine déjà toute l'influence qu'à eu l'oeuvre de Leiber sur le jeu de rôle...


Ce premier tome de l'intégrale du Cycle est donc une introduction agréable quoique un peu lente et finalement pas si indispensable, je présume, à la caractérisation des personnages. Cependant, il convient de commencer par là, en douceur, avant de se forger un avis plus pointu sur les nombreuses aventures que le duo de voleurs est appelé à vivre...

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le 19 mars 2017

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Amrit

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