C'est une chose que l'on retrouve encore et encore à la lecture d'Aristote : ses conclusions sont merveilleuses, mais on ne retrouve rien qui les fondent. C'est aussi pour cette raison qu'écouter des cours évoquant Aristote est un plaisir, quand le lire est un enfer. Car les cours déploient l'argumentation que réduit drastiquement Aristote : ils piochent, ici ou là, dans tel traité, dans tel autre. Mais dans l'ouvrage lui-même, Aristote est expéditif. Ou plutôt, il commère.
On a certes envie d'aimer Aristote : comment ne pas vouloir comprendre le fondement théorique de cette vertu du juste milieu, pouvant gouverner tous les hommes et les conduire au bonheur ? Qui ne rêve d'avoir un étalon sur lequel mesurer ses actes afin de savoir s'il se comporte bien ou mal ? Qui refuserait de savoir si son comportement est digne de lui et peut, à force d'habitude, le conduire au bonheur contemplatif ?
Seulement voilà, la conclusion d'Aristote y est, mais le fondement théorique est pauvre. Aristote se réfugie encore et toujours dans l'observation et la casuistique. Pour certains il faut faire ça, pour d'autres c'est comme ça ; et comme dit le proverbe ..., et comme dit le poète ... ; et comme ils font là-bas c'est bien, et comme ils font ici c'est mieux... C'est louable, certes. Il faut un minimum de casuistique, et un minimum d'observation. La philosophie ne peut exister sans. Mais ce ne peut être l'unique fondement d'une éthique. On a envie de dire à Aristote : "Ok, l'homme est rationnel, son bonheur passe par la raison, donc par l'acte vertueux, et l'acte vertueux est celui du juste milieu. Ok. Mais comment trouver ce juste milieu ? A quoi il correspond ? Comment être certain d'y être ? A quoi il ressemble, dans l'amitié ? Dans la justice ? Faut-il un tempérament propice ? Une éducation ?"
Toutes ces questions sont abordées. Mais elles sont également détournées par des réponses casuistiques, des observations. Et, à la fin, ça sonne creux. On a l'impression de n'avoir rien lu de concret, de ne pas avoir eu entre les mains une véritable "éthique", c'est-à-dire un manuel de bonne conduite : seulement des exemples à la pelle couronnés de quelques réflexions métaphysiques. On sent qu'il manque quelque chose de fort, quelque chose finalement, d'universel et nécessaire. A croire qu'il manque un petit peu de Platon.