Avec Frankenstein à Bagdad, Ahmed Saadawi fait surgir, des décombres de la guerre, une créature de fiction qui palpite d’une vérité troublante. J’ai été profondément marqué par cette lecture — d’où ma note de 9/10. Rarement un roman fantastique m’a semblé aussi ancré dans le réel, aussi profondément humain dans son horreur.


Dans une Bagdad ravagée, un chiffonnier recompose, morceau par morceau, un corps fait de victimes anonymes. Ce corps prend vie. Et avec lui, une voix : celle des oubliés, des martyrs, des colères sans nom. Le monstre — qu’on voudrait d’abord justicier — devient peu à peu figure de l’ambiguïté morale. Qui mérite vengeance ? Où commence l’innocence ? Où finit-elle ? En creux, c’est toute la logique du conflit qui vacille.


Le roman frappe par sa densité : entre satire noire, chronique sociale et fable métaphysique, Saadawi tisse un récit choral, peuplé de journalistes, de militaires, de devins, de voisins. Tous orbitent autour de cette créature, symbole mouvant d’un pays brisé. L’auteur dépeint un chaos organisé, un monde où le réel dépasse sans cesse la fiction.


L’écriture, d’apparence simple, est d’une précision remarquable. Sous sa fausse neutralité, elle laisse filtrer une ironie douce-amère, une mélancolie tenace. J’ai aimé cette retenue, ce refus du pathos. Le fantastique y est au service du sens, jamais de la gratuité.


Seul léger reproche : une certaine complexité narrative, par moments, qui brouille les repères. Mais peut-on vraiment reprocher au roman de refléter le désordre du monde qu’il raconte ?


Frankenstein à Bagdad est une œuvre nécessaire, parce qu’elle redonne chair — au sens propre — à ceux qu’on efface. Elle questionne la justice, la mémoire, la violence. Et surtout, elle nous rappelle que le monstre, bien souvent, n’est que le miroir de nos renoncements.

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le 9 avr. 2025

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