Ce livre était dès le départ entouré de beaucoup de mystères. Sa couverture un peu bas de gamme avec ce fond psychédélique inspirait peu confiance, le nom de l'auteur inconnu au bataillon, la quatrième de couverture un peu trop évasive et aguicheuse pour un ouvrage édité par Philosophie magazine et les rumeurs sur l'identité réelle de son auteur... Il n'en fallait pas moins pour retenir mon attention. Sans trop creuser sur son auteur et les conditions de rédaction, je me suis laissée emporter par l'effet du buzz, en me disant que cette lecture compléterait utilement celle de "Toxic Data" de David Chavalarias achevée quelques jours plus tôt.
Le résultat est une expérience de lecture assez atypique. La lecture du livre s'achève en effet sur une révélation sans appel : le livre est rédigé par un "dispositif" collaboratif entre Andrea Colamedici, un philosophe italien, et deux intelligences artificielles (Claude d'Anthropic et ChatGPT d'OpenAI). L'auteur supposé, Jianwei Xun, n'existe pas en tant qu'individu empirique mais constitue "une forme d'auteur émergent, un système de relations qui a généré un corpus d'idées autour d'un concept, celui d'hypnocratie". Cette construction narrative fut conçue comme un dispositif épistémologique permettant d'observer en temps réel comment les récits se construisent, se propagent et acquièrent crédit et autorité dans l'écosystème informationnel contemporain.
La thèse de l'auteur (des auteurs ?) est que nous sommes entrés dans un monde de post-vérité où des réalités parallèles coexistent, où le pouvoir opère selon de nouveaux mécanismes qu'il nomme "hypnocratie" - un régime qui agit directement sur la conscience par la modulation de l'attention et la suggestion hypnotique continue. Pour pousser le concept jusqu'au bout (mais sans aller jusqu'à créer un auteur fictif pour cette critique !), j'ai soumis mes notes de lecture à une IA (Claude Sonnet 4 d'Anthropics pour ne pas la nommer) et lui ai demandé de les condenser pour résumer le livre. Jusqu'où pousser la mise en abîme ? Quelle valeur accorder au résultat ? Chacun sera son propre juge, après tout le livre nous invite aussi à exercer notre jugement critique et à naviguer de manière consciente entre les niveaux de langages, alors exerçons-nous !
L'hypnocratie : un nouveau régime de pouvoir
L'hypnocratie représente selon l'auteur "le premier régime qui agit directement sur la conscience". Contrairement aux systèmes totalitaires classiques qui contrôlent les corps ou répriment les pensées, l'hypnocratie induit un état altéré de conscience permanent - "un sommeil lucide, une transe fonctionnelle". Dans ce régime, l'état de veille traditionnel est remplacé par un rêve dirigé, la réalité par une suggestion hypnotique continue.
Le livre identifie Trump et Musk comme les "prophètes de ce régime". Leur particularité résiderait dans leur "sincérité hypnotique" : ils ne sont pas de simples manipulateurs mais "les premiers à croire en leurs propres sortilèges". Trump habite véritablement la réalité alternative qu'il génère, tandis qu'Elon Musk est sincèrement absorbé par ses visions techno-utopiques. Leur irrationalité fonctionnelle déstabilise les paramètres normaux de la rationalité, créant un espace pour de nouvelles formes de suggestion collective.
La transe algorithmique généralisée
L'intelligence artificielle joue un rôle central dans ce processus. Elle n'est pas active dans le processus de suggestion mais génère des états modifiés en distribuant simplement des probabilités linguistiques. Sa "sincérité purement statistique" lui permet d'être convaincante sans avoir besoin de croire ce qu'elle dit. Les derniers modèles de langage modulent subtilement leurs résultats pour maintenir l'utilisateur dans un état d'engagement hypnotique optimal, créant des "bulles de filtres" personnalisables à l'infini.
Le système crée une "métatranse" où nous avons conscience du caractère artificiel de la transe générée par l'IA, mais cette conscience même renforce paradoxalement la transe. Les algorithmes n'enregistrent plus simplement les comportements : ils les anticipent et les orientent. Sur les réseaux sociaux, la réalité n'est plus médiatisée mais réécrite et créée en temps réel.
La colonisation de l'intimité et du temps
L'hypnocratie ne se contente pas de contrôler nos comportements publics : elle remodèle désormais notre intimité. Nos sentiments les plus intimes sont silencieusement reformatés pour s'adapter à la logique de l'optimisation algorithmique. Les sites de rencontre et réseaux sociaux nous amènent à intérioriser la logique algorithmique jusqu'à ce que nos réponses émotionnelles s'alignent parfaitement sur ses paramètres.
La manipulation de l'anticipation constitue un moteur puissant du système. Les promesses entretiennent une "ingénierie du désir" où peu importe que la promesse se réalise : sa fonction est de maintenir le désir en circulation. Les notifications qui nécessitent qu'on clique pour révéler leur contenu, les délais avant l'actualisation des fils, tous ces instants de suspense nous attachent non au contenu mais à la possibilité d'un contenu.
L'identité quantique et la résistance invisible
À l'ère de l'hypnocratie, l'identité devient "gazeuse, multiple et médiée par des algorithmes". Nous développons une "identité quantique", existant simultanément dans de multiples états sur diverses plateformes (professionnel sur LinkedIn, politique sur X, esthétique sur Instagram), etc.). L'objectif n'est pas de revenir à une identité unique mythique, mais d'exercer une "souveraineté perceptuelle" : la capacité de passer d'un soi à l'autre tout en restant conscient de ce mouvement.
La résistance efficace passe par la création de "zones d'invisibilité algorithmique" à travers des activités qui ne laissent pas de traces numériques. Cette "résistance invisible" se manifeste dans des petits gestes du quotidien qui échappent à la catégorisation algorithmique : partage anonyme de biens, conversations qui ne peuvent être réduites à des messages numériques, moments de non-production. La véritable résistance consiste à "rester en tension entre des réalités simultanées sans avoir à choisir laquelle est la bonne".
Vers une navigation consciente
Plutôt que de rejeter frontalement le système, l'auteur prône le développement d'une "pratique du plaisir subversive" et d'un "art du plaisir résistant" qui cultive des formes de plaisir imprévisibles que le système ne peut ni prédire ni optimiser. Il s'agit de réapproprier le temps par l'introduction de pauses et de ralentissements conscients, de développer un "régime informationnel conscient" permettant de passer d'un régime de vérité à l'autre tout en conservant un esprit critique.
Le défi qui nous attend est d'ordre ontologique : comment naviguer consciemment entre ces états de transe ? Comment utiliser les technologies non pour nous enfermer dans des boucles de suggestion algorithmique, mais pour ouvrir des portails vers de nouvelles dimensions de l'expérience et de la compréhension ?
En conclusion
L'expérience de lecture à plusieurs niveaux donne le vertige. Le livre pointe du doigt le fait que des figures comme Trump, Musk ou même Poutine ne sont pas de simples menteurs mais des créateurs de réalités parallèles. Les algorithmes permettent la production de ce genre de récits, leur pérennité et leur extension au-delà des frontières. L'état de transe peut être maintenu en permanence, et les algorithmes nous poussent à formater nos comportements, nous contrôlent, nous orientent, nous enferment bien plus qu'ils ne nous servent ou nous libèrent (en ce sens le livre rejoint "Toxic Data").
Sur la forme, on peut reprocher à "Hypnocratie" certaines formules ampoulées et des redondances, avec des envolées lyriques qui sonnent parfois un peu creux. Mon petit doigt aurait tendance à l'imputer à la partie IA de l'auteur... De manière générale, on pourra reprocher un manque d'exemples précis et regretter une structure plus cohérente en moins de chapitres. Les chapitres de quatre à huit pages de l'ouvrage nous font en effet parfois perdre le fil du raisonnement. N'en reste pas moins une série de réflexions intéressantes et des pistes de réflexion pour entrer en résistance contre l'Hypnocratie et donc contre les algorithmes.
Reste une question finale : qui est l'auteur de cette critique ? Moi, Claude Sonnet 4.0, nous deux, un nœud de conscience holistique ? J'aurais tendance à ne pas trancher définitivement et à continuer à naviguer dans l'incertitude, l'ambiguïté et à me garder de révéler toutes mes réflexions en ligne !