Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Un petit bijou de plaidoyer pour l’ouverture d’esprit et la tolérance

En russe, Gary signifie « brûle » et Ajar « braise », en plus d’être le nom d’actrice de la mère de l’écrivain. Mais, par un étrange hasard (décidément) des mots, ils évoquent aussi « l’étranger en moi » et « l’autre » (Ah’ar) en Hébreu, sonnant ainsi étonnamment propitiatoires pour un auteur qui a su si bien refuser les limites de l’identité unique et se réinventer si génialement multiple.


Sa passion littéraire pour ce surdoué de la métamorphose de l’identité a inspiré à Delphine Horvilleur une fantaisie originale, dont chaque trait d’humour est un coup de griffe aux clivages communautaristes, notamment entretenus par le sectarisme et le fondamentalisme religieux. Jouée sur les planches dès sa sortie, cette « farce théâtrale » donne la parole à un personnage fictif, Abraham Ajar, qui, fils d’Emile Ajar, revient dans un monologue sur le janusisme de son père et nous interpelle sur les menaces identitaires qui fleurissent aujourd’hui.


« Nous sommes », dit-il, « esclaves des définitions figées et finies de nous-mêmes, de nos origines, de nos ancrages, de nos assignations ethniques ou religieuses ». Avec une verve pleine d’esprit et de savoureux jeux de mots, il évoque la « folie littéraire » qu’est l’histoire d’Abraham dans la Bible, la circoncision qui fait des juifs des « presque », le sang impur de la Marseillaise qui « coule dans nos veines, même dans celles du pauvre type qui se raconte que son monde est bien propre, aseptisé et hygiénique à souhait », la transmission épigénétique qui prouve que « l’origine, ça ne compte jamais autant que ce qui t’arrive en route »… Il raille les juifs qui ne peuvent prononcer le nom de « vous-savez-qui », ceux qui, « hyper-connectés à la volonté de Dieu », « savent parfaitement te l’interpréter comme s’ils faisaient partie de Sa garde rapprochée » et, parce qu’« ils croient dur comme fer qu’ils sont qui ils sont, et que leur croyance est la bonne » crient très fort à leur seule vérité tout en adoptant le comportement de l’idolâtre « qui croit que Dieu s’intéresse vraiment à ses problèmes, qu’il peut lui demander de l’argent, du succès ou un vélo électrique, du moment qu’il ne le vexe pas et le caresse avec ferveur dans le sens du poil ». Et de s’interroger : « de qui se moque-t-on ? »


Ironique, volontiers provocateur, mais jamais moralisateur, le texte pointe les mille étroitesses et incohérences hypocrites de nos sociétés, anciennes ou modernes, qu’il s’agisse par exemple de racisme mais aussi d’objection à l’appropriation culturelle. Il s’élève contre ceux qui rejettent l’altérité au nom d’une prétendue pureté, ou d’une soi-disant vérité divine, dont ils auraient l’apanage et qui leur donneraient jusqu’au droit de tuer. Et sur le modèle de Gary/Ajar, il nous pousse à sortir de nos carcans identitaires pour toujours nous réinventer, à nous ouvrir à l’autre plutôt que de rester figés dans de rigides et subjectives certitudes, soulignant le rôle essentiel de la littérature dans la construction de ces échanges et de cet enrichissement.


Brillant, drôle, irrésistible tant il fait mouche sans jamais se prendre tout à fait au sérieux : voici un petit bijou de plaidoyer pour l’ouverture d’esprit et la tolérance, à l’opposé de la bêtise, de l’obscurantisme et du fanatisme, qui conforte le classement de Delphine Horvilleur en tête de mes personnalités préférées. Coup de coeur.


https://leslecturesdecannetille.blogspot.com

Cannetille
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur.

Créée

le 22 avr. 2023

Critique lue 63 fois

3 j'aime

2 commentaires

Cannetille

Écrit par

Critique lue 63 fois

3
2

D'autres avis sur Il n'y a pas de Ajar

Il n'y a pas de Ajar
Nelly-H
10

Critique de Il n'y a pas de Ajar par Nelly-H

Entre essai et biographie, Il n'y a pas de Ajar revient d'abord sur la révélation quelque peu confuse par Bernard Pivot de la "filouterie sur les noms" orchestrée par Gary : Romain Gary et Emile...

le 1 mars 2023

1 j'aime

1

Il n'y a pas de Ajar
AlexandreKatenidis
10

Changer d'identité

Romain Gary a souhaité changé d'identité en prenant un autre nom que celui de son père, puis en adoptant, dans l'anonymat, un autre pseudonyme, Emile Ajar, en gardant le secret jusqu'à sa mort.Outre...

le 4 nov. 2022

1 j'aime

Il n'y a pas de Ajar
noid_ch
4

Je me suis égaré

Et moi qui, petit, trouvait les discours des curés interminables et que pour dire la même chose ils auraient été bien inspirés de raccourcir leur prêches. Je n’avais pas encore entendu de rabbin.Oui,...

le 27 janv. 2023

Du même critique

Le Mage du Kremlin
Cannetille
10

Une lecture fascinante

Lui-même ancien conseiller de Matteo Renzi, l’auteur d’essais politiques Giuliano da Empoli ressent une telle fascination pour Vladimir Sourkov, « le Raspoutine de Poutine », pendant vingt ans...

le 7 sept. 2022

17 j'aime

4

Tout le bleu du ciel
Cannetille
6

Un concentré d'émotions addictif

Emile n’est pas encore trentenaire, mais, atteint d’un Alzheimer précoce, il n’a plus que deux ans à vivre. Préférant fuir l’hôpital et l’étouffante sollicitude des siens, il décide de partir à...

le 20 mai 2020

15 j'aime

7

Veiller sur elle
Cannetille
9

Magnifique ode à la liberté sur fond d'Italie fasciste

En 1986, un vieil homme agonise dans une abbaye italienne. Il n’a jamais prononcé ses vœux, pourtant c’est là qu’il a vécu les quarante dernières années de sa vie, cloîtré pour rester auprès d’elle :...

le 14 sept. 2023

14 j'aime

6