Grâce à ce monsieur qui porte un nom de dessous de bras, nous savons enfin que
l'indignation est le degré zéro de la conviction.


L'indignation suppose en elle un constat à réprouver moralement. Or, il se trouve que constater (et encore quel type de constat ?) ne fait pas parti du cheminement de la conviction, ne constitue pas son socle puisque le constat n'envisage en soi aucune perspective. Non, une évaluation d'une situation, d'un contexte n'engage pas un réajustement. Vous entendrez partout en société des discours faméliques attaquant le système et vous serez d'accord avec eux dans l'adversité. Alors que, de toute évidence... Cela ne constitue en rien une volonté de l'être social.


Aucune. Au pire, il y aura un renoncement de certaines pratiques sans s'interroger davantage sur les causes qui ont engendré ces pratiques. Quand une personne s'indigne, elle est loin de l'application de ce qu'elle croit juste. Au maximum, l'indignation organise autour d'elle la dénonciation, la contestation. Elle est pour moi le refuge émotionnel de négativités ; je ne crois pas, comme le pensait Alain, que "penser, c'est dire non". Evidemment, une indignation confère un sens légitime à un refus non-violent de principe mais ne constitue en rien la viabilité d'une action sur le plan politique. La morale ? Vous savez très bien que les politiciens et les banquiers s'en foutent ! "Indignez-vous" est à mes yeux l'histoire de ce fossé. C'est aussi l'histoire couarde d'un homme qu'on a fait passé pour sage et légitime car... ancien résistant et ancien diplomate. Les expériences d'être sorti des camps ou d'avoir lutté contre les nazis constituent-elles une preuve permanente de l'exercice de la raison ?


Si j'ai un jugement aussi dur, c'est parce que je suis moi-même un engagé (sans plus de précision). Et l'engagement, il est à penser dans des stratégies, des solutions à mettre autant en oeuvre qu'en perspective. La question de l'individualité et du collectif ne se pose pas encore, pas plus que la question de la réforme ou de la révolution mais déjà, de parler de stratégies, de s' "hasarder" à mettre en oeuvre des choix en regard des constats, c'est un certain pas en avant.


L'indignation rejoint l'incertitude et plonge l'ensemble d'une société dans une vision du tous contre tous. Elle n'est pas la preuve d'un changement supposé ni même un cheval de bataille d'autant qu'elle n'oblige pas à aller plus avant dans la réflexion.


En tant qu'engagé, j'aime à lancer des sondes, des propositions sociales, et c'est ici que réside mon projet de faire avancer les consciences, indépendamment de l'indignation que moi aussi je ressens. Même si je suis dans l'erreur, j'apprendrai dix fois plus si je me trompe que si je reste à me positionner comme un ronchon ou comme un fédérateur (oui, je pense que la volonté de fédérer des forces politiques ne donnent pas plus de forces à une population. C'est pourquoi une population, si elle doit tenir une proposition commune, elle le fera sans l'appel d'air d'un opportunisme politique mais elle le fera naturellement et spontanément).


L'indignation posée en tant que telle ne soumet en aucune façon un virage systématique vers la conviction. C'est pourquoi, en tant qu'engagé, l'indignation représente une errance de la conscience et non une action politique en soi.


Oui, ce livre est, par conséquent, de la poudre aux yeux, la loi de l'illusion qui conduit à l'errance politique. Et sur ce point, je m'y oppose de tout coeur. Je m'y oppose car le raisonnement est grandement insuffisant. Si ce livre a eu autant de succès, c'est simplement parce qu'il se situe sur ce degré zéro de la conviction et cela pourrait passer pour une démagogie opportuniste si je ne connaissais pas cet auteur.


Je peux paraître méprisant envers feu Monsieur l'Ambassadeur de France Hessel mais c'est ce livre qui me rend moins indulgent, lui qui a fait des choix radicaux en tant que résistant, qui a agi selon des convictions bien précises. C'est pourquoi il ment. C'est pourquoi l'indignation n'est même pas un horizon ou un début d'un chemin pour commencer à croire. Pour moi, croire - même par tromperie - c'est le début d'une authentique rébellion.


Engagez-vous. Oh il l'a sorti son livre sur l'engagement... Un an après. C'est-à-dire en réaction du succès d'Indignez-vous... Comme un patricien qui durcit son discours opportuniste aux hurlements de la foule et comme un patricien qui hurle son discours quand la foule est déjà aphone. Si je voulais faire de l'humour allemand, je dirais qu'il a un train de retard !


Hessel dit ailleurs - disait - qu'à son époque il était facile d'identifier l'ennemi et donc de s'engager... alors qu'à notre époque, le monde est plus compliqué d'identifier un ennemi.


Mais cela dépend d'où on regarde et d'où l'on vit, Monsieur Hessel ! Le petit-bourgeois n'a tendanciellement pas les mêmes vues que l'ouvrier vis-à-vis du capital, surtout quand l'ouvrier voit frapper à sa porte et la police et les huissiers. La violence est toujours pour les mêmes tandis que les héritiers se perpétuent pendant ce temps, avec une mémoire telle que les expériences menées contre les travailleurs porteront toujours le capital en triomphe.


L'indignation n'est pas une base de lutte indépendante pour les travailleurs.


C'est pourquoi s'indigner, c'est indignant.
C'est le meilleur moyen de ne pas parler des licenciements, de la précarité, du chômage de masse, de la société de défiance. Par contre, si la petite-bourgeoisie tait tous les maux sociaux pour ne promouvoir qu'une "démocratie", alors les plus pauvres se rangeront derrière une illusion, derrière une perspective dont ils n'ont rien à attendre. Le printemps arabe est là pour le démontrer comme l'a démontré auparavant les conflits de 1936 ou de 1848. Il y aura une continuité logique et injuste dans la perpétuation de la bourgeoisie au pouvoir tant que les travailleurs n'auront pas un parti indépendant qui défendra ses intérêts.


Parce que s'indigner est le meilleur moyen de s'arrêter en chemin, comme l'ont fait tous les traîtres de l'Histoire, les Gandhi, les Mandela, les Walesa,
Parce que l'heure du constat de la violence capitaliste est dépassée pour le plus grand nombre,


Révoltez vos désirs.

Andy-Capet
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le 2 mars 2013

Modifiée

le 5 mai 2013

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Andy Capet

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