Ivanhoé
7.3
Ivanhoé

livre de Walter Scott (1819)

Juger un livre écrit dans une langue étrangère est toujours un exercice délicat, d'autant plus quand le vocabulaire utilisé est ancien. Face à ce problème, il y a toujours un dilemme qui s'impose ; faut-il lire le livre en version originale au risque de sortir du récit à cause de recherches dans le dictionnaire ou même de céder à la tentation de la compréhension peu fine du livre ou bien ne vaut-il mieux pas acheter une version traduite qui, si elle est très certainement l’œuvre d'un traducteur bien plus expérimenté et documenté que nous, risque de nous faire perdre le rythme et les sonorités particulières du texte d'origine ? Pour ma part, j'ai choisi la seconde option même si je possède le livre en version anglaise. Comme j'avais déjà lu le livre plus jeune, je dispose d'une édition jeunesse très joliment illustrée en deux parties. A en juger par le nombre de pages, il s'agit bien du texte complet et une rapide comparaison au texte original semble le confirmer (comme quoi, on sous-estimait moins la jeunesse à une époque). D'ailleurs, Ivanhoé est très présent dans les collections de jeunesse avec les romans de Chrestien de Troyes, ce qui peut s'expliquer par le programme de collège mais aussi par le texte en lui-même qui, sur la base de mon expérience, me semble revêtir des charmes accessibles à un enfant et peut-être fermés à celui d'un adulte ; c'est très simple, j'ai eu l'impression de lire deux livres différents en comparant ma lecture d'aujourd'hui aux souvenirs de celle d'avant. C'est peut-être là une des forces d'Ivanhoé mais aussi une de ses faiblesses ; au fond, il s'agit d'un roman populaire tout public assez premier degré même s'il jouit d'un degré de raffinement supérieur dans la forme.

-- Le Moyen-Âge vu par un romantique du XIXème siècle --

Un des principaux risque quand l'on veut écrire un roman dans un cadre historique connu est de recueillir les critiques des puristes qui ne s'offusqueraient pourtant point si l'auteur avait produit la même histoire en changeant les noms des lieux et des personnages. Cette critique pourrait frapper Walter Scott avec d'autant plus de force qu'il choisit de jouer avec la grande Histoire en inventant beaucoup d'évènements qui n'ont pas eu lieu tout en les raccrochant à d'autres plus réels. Dans Ivanhoé, Walter Scott fait coexister un vocabulaire précis et des connaissances bien documentées avec les fantaisies de l'épopée. Pour ma part, je laisserais les puristes grincer des dents et accepte le parti pris de l'auteur qui revisite les genres médiévaux en nous livrant une espèce de mélange entre roman courtois et chanson de geste mâtiné de romantisme. Je pourrais néanmoins pester sur une peinture un peu caricaturale des moeurs de la période (ce qui a longtemps concouru à sa mauvaise réputation) et au côté un peu artificiel de l'exercice, cependant, je préfère retenir une plongée globalement assez réaliste et dépaysante dans la période.

Le point de vue d'un homme du XIXème siècle change bien sûr la tonalité et les préoccupations du récit. Par comparaison à n'importe quel roman de Chrestien de Troyes (plus profonds à mon sens), le symbolisme médiéval, le sacré chrétien ainsi que la vision du chevalier et de ses amours disparaissent ou se transfigurent et perdent peut-être de leur charme authentique à tel point que l'on pourrait parler de vulgarisation. Par contre, ce regard distant apporte aussi un nouveau regard intéressant et plus proche du lecteur actuel. Ici, les faiblesses des chevaliers ainsi que les critiques se comprennent mieux et nous parlent sans doute davantage, ce qui donne plus de force au récit, notamment pour le jeune sujet. Pourtant, il s'agit parfois des mêmes vices qui sont mis en avant, seul le réquisitoire change. Par exemple, Richard, chevalier modèle par sa vaillance et sa courtoisie, est au final décrit comme un piètre Roi en dehors de son arrivée qui a permis techniquement la réconciliation entre Saxons et les Normands. Cette vision n'est bien sûr par nouvelle puisque Joinville reprochait déjà à Saint-Louis ses transports indignes d'un Roi (qui a le devoir d'assurer sa sécurité pour le peuple), seule la façon de présenter le problème change : ici, la preuve est plus convaincante que le principe même. Cette différence d'époque permet aussi de mettre en avant des personnages autrefois peu intéressants pour le littérateur du roman de chevalerie : un juif et sa fille, des paysans et serfs, etc. Ainsi, Rebecca jouit d'un poids littéraire aussi (voire plus) important que Cédric ou Lady Rowena. De même, le pêché pèse moins sur les consciences et les idéaux poursuivis sont moins archaïques. Il en résulte un récit d'aventure inédit qui ose d'ailleurs mélanger divers tonalités autrefois relativement incompatibles (par exemple le comique et l'épique).

Dans un même esprit, Walter Scott n'hésite pas à critiquer les excès de l'époque (notamment à l'égard des juifs, des effusions de sang appréciées comme un spectacle et de la corruption des templiers) tout en en tirant parfois des leçons pour sa propre époque (où par exemple, la pendaison était encore une curiosité). Le fantasme du petit qui détrône le tyran s'exprime aussi dans les exploits des serfs comme Gurth décrit comme un Eumée saxon. En tant que Romantique, Walter Scott est plus prompt à valoriser l'ego des personnages même s'il essaie de rester plutôt fidèle à l'abnégation vantée par les idéaux de la chevalerie dont il modernise franchement la forme.

-- Un roman jeunesse ? --

Même si je ne saurais m'arroger une connaissance étendue de la littérature anglaise, il m'a bien souvent semblé reconnaître des traits divergents entre les approches anglaise et française, la première me semblant plus axée sur l'éclat des évènements imprévus et des évènements et c'est ce que j'ai retrouvé dans Ivanhoé. Quoi qu'il arrive, trait brittonique ou pas, cette orientation est ici assez marqué avec un livre relativement premier degré (davantage qu'un roman de Dumas par exemple) et donc plus accessible à la jeunesse. Véritable roman d'aventure, Ivanhoé est limpide au lecteur. En effet, dès les premiers chapitres, les caractères, l'intrigue principale et la distribution des rôles entre protagonistes et des antagonistes sont clairement identifiés. Une simple description physique permet d'identifier qui sera un méchant à punir et qui sera le gentil chevalier ; néanmoins, à la décharge de l'auteur, l'apparence était souvent perçue comme des expressions des vertus (ou des vices) et le genre de l'épopée (médiévale surtout) sied bien à ce type de traitement. Par ailleurs, j'ai un peu caricaturé le roman qui est en fait pas si manichéen qu'il en a l'air et bon nombre de personnages reçoivent quelques critiques ou éloges timides pour contrebalancer leur présentation initiale. Cette dualité peut d'ailleurs revêtir un aspect comique (sans doute polémique à notre époque) comme quand l'on montre Isaac hésiter entre économiser quelques pauvres deniers (alors qu'il est riche à millions) et sauver sa fille.

Ce défaut de profondeur est heureusement pallié par des retournements de situations, les hyperboles du genre épique et une touche humoristique récurrente. En sus, des descriptions très détaillées des lieux et des personnages permet à l'imaginaire (notamment de l'enfant) de véritablement se plonger dans le décor et dans l'époque. Par rapport à ma première lecture de jeunesse, j'ai malheureusement perdu cette errance de l'imaginaire qui saupoudre la lecture d'un roman épique aux décors si joliment présentés (la nature chatoyante de type écossais ferait honneur à Chateaubriand) . En cela, je pense qu'il faut profiter de sa jeunesse de coeur pour lire Ivanhoé qui propose, beaucoup plus que de nombreux livres que j'ai lus enfant, cette matière au rêve qui font que je n'ai pas eu l'impression de lire le même livre la seconde fois.

Par ailleurs, comme d'autres romans qui eux sont faits uniquement pour la jeunesse, Ivanhoé propose une sorte de vulgarisation de l'accès à la période ainsi qu'un côté didactique. De fait, Walter Scott nous fait voyager dans divers châteaux et manifestations (tournois, banquets, funérailles, etc.) en les rendant accessibles tout en les expliquant.

Néanmoins, Ivanhoé n'en demeure pas moins un livre au vocabulaire médiéval recherché qui s'accompagne de petits détails historiques ad hoc et qui, nous l'avons vu, n'est pas totalement manichéen. S'il reste premier degré globalement, des connaissances additionnelles peuvent éclairer les choix narratifs de l'auteur et permet de saisir certains symboles comme le chant guerrier d'Ulrique dont l'antique château de la race Saxonne brûle. Ainsi, sur le terreau de l'antique race qui se soulève une dernière fois, un ordre nouveau de réconciliation (que scellera Richard) fera naître une nouvelle nation.

L'histoire demeure également très plaisante avec beaucoup de moments mémorables comme le tournoi d'Ashby où Ivanhoé paraît avec sa mythique devise "Desdichado", la bataille pour libérer les prisonniers de Front de Boeuf ou encore les pitreries des duos comiques (tels que frère Tuck et Richard). La tension entre les saxons un peu bruts de décoffrage et les normands raffinés mais vaniteux (et qui auraient commis des actes horribles envers les conquis selon Walter Scott, ce qu'il cristallise dans le personnage à la fois vil et pathétique d'Ulrique) alimente également le récit à côté du triangle amoureux formé par Rowena, Ivanhoé et Rebecca. Le destin et les figures des deux femmes est d'ailleurs souvent mis en parallèle, la Saxonne étant pleine de fierté au premier abord mais finalement très sensible devant les exhortations de Bracy tandis que Rebecca est habitué à courber l'échine du fait de sa situation d'infidèle alors qu'elle montre une résolution qui impressionne la foule initialement hostile.

La principale faiblesse que je relève est le trop faible suspense concernant la prise de pouvoir de Jean. En effet, jamais une seule seconde il n'est vraiment montré comme un homme puissant et dangereux ; à dire vrai, il est peu exploité et absent durant une grande partie du livre. De plus, le sort de Bois-Guibert est scellé très rapidement et sa personnalité assez ambiguë (même si globalement assez peu louable) aurait méritée d'être creusée.

En définitive, Ivanhoé s'impose comme une belle épopée intéressant tous les publics (même si un jeune en tirera à mon humble avis davantage de plaisir). Entre la vulgarisation et la recherche du détail historique, Walter Scott offre avant tout une histoire solide et immersive pleine de rebondissements et de hauts faits. Même si l'on pourrait déploré l'aspect artificiel de la plongée dans une époque lointaine, l'exercice de cet écrivain du XIXème offre une vision nouvelle et non dénuée d’intérêt de la littérature chevaleresque en y introduisant notamment ceux qui y étaient exclus et en apportant un regard plus proche du lecteur contemporain. Ce qu'il perd en profondeur, Ivanhoé le restitue en force du discours et dans cette entreprise, il réussit bien son pari. Pour être sincère, ma lecture actuelle me ferait diminuer la note du livre d'un point mais il serait artificiel de renier ce que ce livre m'a apporté de merveilleux dans mon enfance (davantage que d'autres livres non moins réputés).
Foulcher
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le 12 mai 2014

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