Seul.e au monde, même dans la société des marges de la société parisienne, partagé.e entre foi, morale, passé traumatique et misanthropie, Marion va tenter de se trouver et de se construire dans un monde qui le/la rejette. En effet, L’Ange et les Pervers est une quête identitaire d’un.e jeune hermaphrodite qui mène une double vie, féminine et masculine, dans le Paris des années 1920 et qui va tenter de se déterminer en restant fidèle à lui/elle-même.
Avec Lucie Delarue-Mardrus, on a la certitude et la conscience que le genre est culturel ainsi que les prémices du concept constructiviste du féminin qu'on retrouvera chez Beauvoir. Comme l’issue du roman le montre, l’apprentissage d’un genre ou d’un autre se fait progressif sans que cela soit si simple. Au final, c’est l’intérêt pour la foi dans son identité masculine qui pousse Marion à une identité définitive féminine. Mais j’irai même plus loin, ce n’est pas un passage d’un état à un autre ou d'une état pour un autre. En réalité, la crise morale et identitaire fusionne les deux pôles sexués de Marion puisqu’en choisissant d’être une mère, elle choisit de garder son activité rémunératrice masculine tout en restant une femme de la marge (apparence de la fille-mère). Toutefois, on pourrait me dire qu'elle est femme parce qu'elle est mère, ce qui peut aujourd'hui poser question si nous mettons injustement nos lunettes actuelles. Mais dans l'ensemble le propos est assez visionnaire !
Le roman est aussi une critique acerbe des milieux sociaux : que ce soit l’aridité de ses parents, des nobles de province ; la grande bourgeoisie, faite d’apparence et de calcul, avec son oncle et sa tante ; ou encore, et c’est plus étonnant, d’une sorte de bourgeoisie périphérique, homosexuelle mais hypocrite qui capitalise tout, jusqu’aux amant.es, bien que l’Art soit omniprésent et valorisé. En effet, même dans les marges de la société, les personnages se montrent globalement inconséquents, avec une remarque pertinente sur la multiplication les amant.es qu’on essaime par caprice. Le portrait construit par Marion (bien que nuancé) de Laurette Wells le montre bien :
Vous êtes, poursuivit Marion avec un sourd scandale, perverse, dissolvante, égoïste, injuste, têtue, parfois avare, souvent comédienne, la plupart du temps irritante… un monstre. Mais vous êtes une vraie révoltée et toujours prête à rebeller les autres. En dedans de vous même, un chic type.
En fait, c’est une réelle critique du corps social dans son ensemble qui est faite puisque les classes plus basses, à travers la tutrice du petit Pierre notamment, montre une société gouvernée par l’Argent dans son ensemble.
Le personnage de Marion vient défier l’ordre social et ses malédictions à l’issue du roman : « Il sera Bénédictin ». Cette critique est d’autant plus pertinente quand on sait que c’est un roman à clef comme Nelly Sanchez l'a montré dans sa présentation de l’œuvre. La vision de l’homosexualité, vécue par l’autrice, date un peu par moment, et la bisexuation du protagoniste n’est pas nouvelle à cette époque, mais elle est abordée par une conception particulière de l’autrice elle-même. Effectivement, l’autrice sentait une sorte de bisexuation psychique par son métier « d’homme » et ses affinités sexuelles : cette conception est donc beaucoup plus signifiante que le simple « effet de mode d’écrire » un.e hermaphrodite.
Ce qui a péché ce sont les changements de narration qui m’ont semblés injustifiés et bancals et, malheureusement, le fait que le livre est beaucoup trop court pour établir une psychologie du personnage assez complète et des thèmes beaucoup plus investis. En fait, le livre avait beaucoup de potentiel, une écriture fine et travaillée mais il aurait tellement gagné à être plus abouti ! Mais ça n’en reste pas moins un bon roman.