Marthe
6.7
Marthe

livre de Joris-Karl Huysmans (1876)

La Fille Elisa en mieux | Marthe de HUYSMANS ⭐⭐⭐,5

Contrairement aux craintes que Huysmans a signifié lorsqu’il écrit l’Avant-propos de son roman, Marthe n’a rien à voir avec La Fille Elisa, si ce n’est le sujet qu’il exploite 100 fois mieux à tous points de vue : roman cérébral, à la vision contrastée et travaillée, roman réellement narré et ce dans une langue superbe et des néologismes qui annoncent la période décadente de Huysmans, bref tant de qualités que je n’ai pas retrouvé dans La Fille Elisa.


Marthe, la protagoniste, tâtonne et balbutie dans la vie à la recherche d’un coin de bonheur loin de la misère. L’amour d’abord utilisé comme distraction et reconnaissance sociale auprès de ses compagnes, la maternité et la vie conjugale écartées par la fatalité de son milieu, la vie de Marthe débouche sur une nécessité de la prostitution à laquelle Marthe ne s’habitue pas. Elle se rend compte de son inadaptation à tout et c’est alors qu’elle fuyait du bordel qu’elle est repérée pour devenir comédienne dans le théâtre Bobino.


On sent un traitement réfléchi du personnage de Marthe par Huysmans, non sans qualités Marthe a, certes aussi des défauts, lesquels sont souvent héréditaires, et d’autres inhérents à sa condition de femme. Toutefois, dire que Huysmans est misogyne ne serait pas trop simpliste non plus.


Elle n’avait pu oublier encore, dans le morne abrutissement des ripailles, cette terrible vie qui vous jette, de huit heures du soir à trois heures du matin, sur un divan ; qui vous force à sourire, qu’on soit gaie ou triste, malade ou non ; qui vous force à vous étendre près d’un affreux ivrogne, à le subir, à le contenter, vie plus effroyable que toutes les géhennes rêvées par les poëtes, que toutes les galères, que tous les pontons, car il n’existe pas d’état, si avilissant, si misérable qu’il puisse être, qui égale en abjects labeurs, en sinistres fatigues, le métier de ces malheureuses !

Huysmans présente toutefois des personnages et des réflexions relativement complexes, surtout pour un premier roman ; tout ceci concourt dans le sens d’une incommunicabilité entre les sexes :


Oh ! qu’elle les méprisait ces gens qui venaient la voir ! Elle ne comprenait pas que la plupart de ceux qui s’attardaient près d’elle, venaient oublier, dans l’énervement de sa couche, de persistants ennuis, de saignantes rancunes, d’intarissables douleurs ; elle ne comprenait pas qu’après avoir été trompés par les femmes qu’ils aimaient, après avoir humé des vins capiteux dans les verres de mousseline et s’être déchiré les lèvres aux éclats de ces verres, la plupart ne voulaient plus boire que des vins frelatés dans les chopes épaisses des cabarets !
— Oh ! ils se ressemblent tous ! voudrais-tu pas que je les aimasse ! des gens qui se soucient d’une femme comme d’une écale qui serait vide ! c’est bon genre d’en charroyer une et de se compromettre avec elle ; c’est à ça que nous servons, nous autres, à nous faire plaindre de vivre avec de pareils imbéciles et à les faire huer parce qu’ils fréquentent de semblables drôlesses ; quand ils sont las de notre accoutrement, bonsoir, trouves-en un autre, ma fille ! Et l’on nous reproche de saccager des fortunes ! mais c’est la guerre après tout ! l’on ravage et l’on pille !

Je finirai par dire que le personnage du poète, hautement inspiré de Huysmans lui-même, m'a assez plu et annonce déjà le Des Esseintes décadent !


P.S : Il m'a manqué une violence finale bien à la Zola... Mais c'est compensé par le style qui est à la hauteur de toutes les attentes.

nemetira_
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le 13 févr. 2025

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