Voter pour la première fois en 2017 revient un peu à démarrer sa voiture au bord d’un gouffre. Il y a une violence électorale ces dernières semaines proprement inouïe : matraquage médiatique, matraquage idéologique jusqu’à plus soif, bassesses, coups de marketing, scandales risibles, attentat de dernière minute… Et au milieu de tout cela, le « vote utile ». Alors que dans le contexte d’une République aussi mollement pour ne pas dire illusoirement démocratique, le premier des problèmes est le suivant : « dois-je cautionner un tel système en participant au jeu électoral ? ». Pour une majorité de français, la réponse est négative, et face à cette violence, s’isoler hors de l’isoloir est encore la plus rationnelle des réactions. Mais pour un sale gauchiste comme moi qui voit depuis la crise des subprimes le déclin annoncé (encore beaucoup trop lent) du néo-libéralisme, accélérer un tant soit peu son agonie en glissant un bulletin dans une urne ne peut pas faire de mal. Reste à savoir vers quel candidat se tourner.


Parmi les programmes, celui de Jean-Luc Mélenchon coûtait trois euros en librairies avec une jolie couverture, alors je l’ai acheté. Elaboré longuement par une bande d’économistes qui posent un regard critique sur le système économique de ces trente dernières années (des négationnistes, pour ceux qui le cautionnent et refusent le droit au raisonnement critique) son contenu ne peut que remporter mon adhésion dans un premier temps. Lutter contre le clientélisme, interdire l’entrée des lobbys au Parlement, imposer le non-cumul des mandats, lutter contre la concentration des médias, séparer les banques d’affaires de celles de détails, instituer la taxe Tobin et le plafonnement des salaires, interdire les licenciements boursiers, augmenter le SMIC de 16%, lutter contre l’obsolescence programmée, favoriser un protectionnisme économique altermondialiste, de telles mesures sont essentielles et risquent d’emmerder un certain nombre de dominants. Deux questions font surface : un tel système de lutte contre les inégalités et de coups portés au capitalisme tout en assurant sa survie suffira-il pour parvenir à mettre en place les dépenses publiques massives du programme et assurer la transition écologique ? Ainsi que : un Mélenchon au pouvoir peut-il, dans un rapport de force avec le patronat et la technocratie européenne, réellement appliquer son programme ?


Autrement dit : Mélench’, un pion du capital presque comme les autres ? Les arguments du Nouveau Parti Anticapitaliste mené par Philippe Poutou résument très bien les limites de sa candidature : un socialiste qui se réclame de Miterrand le traître de 1983, qui distille mine de rien des éléments de nationalisme rance (un service civique avec formation militaire obligatoire, une mise en avant de la « francophonie politique ») et qui utilise allégrement la rhétorique gaulliste de « l’homme providentiel » tout en voulant abolir la monarchie présidentielle n’est-il pas qu’un monstre de contradictions ? Il faut tout de même concéder que le processus d’Assemblée constituante vers une VIème République comme désir de sursaut démocratique peut faire germer de nouvelles cultures politiques et accorder plus de crédit à des petits partis comme le NPA. Quoiqu’il arrive, ce sera dans la rue que le changement opérera : même le plus fervent des mélenchonistes admet que Jean-Luc ne pourra rien faire sans pression populaire. Quant aux 32 heures, si certains ont encore la moindre illusion sur leur institution par une conférence nationale sur le partage du temps de travail, ils devraient assumer que leur choix électoral tient de la croyance religieuse.


Historiquement, voir la France Insoumise au second tour des élections est tout de même fichtrement excitant, comme le souligne Frédéric Lordon dans l’article de son blog Les fenêtres de l’histoire. Ce serait la perpétuation d’un processus de délégitimation du système actuel qui, de Podemos à Syriza en passant par Occupy Wall Street, ou Trump et le Brexit dans son revers nationaliste, se forme depuis quelques années sans trouver un élan salvateur. Ce serait aussi la jouissance d’imaginer les sueurs froides d’un certain nombre de personnes infréquentables (de BHL à Macron, en passant par Bernard Arnault). Mais puisque le capitalisme a pris depuis plus de 30 ans avec la financiarisation de l’économie son visage le plus hideux et destructeur, est-ce suffisant de désirer sa régulation ? Si le néolibéralisme touche à sa fin, est-ce pour se révéler en parenthèse insupportable d’un capitalisme qui est par ailleurs parfaitement légitime et désirable ?


Alors que la robotisation nous entraîne vers une nouvelle révolution industrielle (un élément que Benoit Hamon met d’ailleurs mieux en relief que quiconque) et que l’écologisme est à moyen terme notre unique chance de survie, l’alternative en demi-teinte exposée dans « L’Avenir en commun » est au mieux un marchepied quelque peu branlant vers une économie post-capitaliste, au pire une culture politique bercée d’illusions sur la capacité du capitalisme à réaliser l’avenir pour le bien commun. Un tel tiraillement critique ne peut finalement pas faire pencher la balance entre une candidature anticapitaliste ou une autre keynésianiste, car cela est avant tout l’affaire de considérations idéologiques. Ce dont il est justement utile de se rappeler pour ce dimanche 23 avril 2017, c’est que tout choix de démocratie, même embryonnaire, est fondé sur un dilemme qui ne peut trouver de résolution si l’on écarte ses propres convictions.

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le 22 avr. 2017

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Marius Jouanny

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