De tous les révolutionnaires du XIXème siècle, Auguste Blanqui détient peut-être le record d'années à croupir dans en prison. 37 années entre quatre murs, il faut croire que l’État français avait intérêt à le tenir à distances des grands mouvements sociaux de son époque. À commencer par la Commune de Paris dont il fut l'une des grandes figures, élu dans plusieurs comités, tout en restant dans sa cellule où Adolphe Thiers l'avait jeté juste avant que la révolte n'éclate. Autant dire que le bougre avait tout son temps pour faire l'expérience de l'éternité, ou du moins pour y réfléchir. Peut-être avait-il même une fenêtre donnant sur le ciel étoilé pour alimenter sa contemplation. À ce titre, L'éternité par les astres est bien plus qu'un essai sur l'astronomie, tant sa dimension métaphysique pas très éloignée de la réflexion politique explose le cadre de la simple recherche scientifique. Comme quoi, Blanqui avait largement de quoi s'évader depuis sa cellule, et sans remuer le moindre caillou.


Deux concessions sont nécessaires à la lecture du livre pour apprécier la thèse fabuleuse de l'auteur. D'une part, il faut endurer (ou ignorer) certains passages qui expliquent et tranchent des débats scientifiques sur l'astronomie de l'époque : cela a peu d'intérêt pour ceux qui y sont extérieurs, et n'en a probablement pas beaucoup plus pour la recherche actuelle étant donné la date de publication de l'essai. D'autre part Blanqui se répète beaucoup dans son raisonnement, et il est le premier à l'avouer. Ces deux éléments un peu parasitaires n'en sont pas moins indispensables pour comprendre le cheminement logique de l'auteur, qui s’appesantie longuement sur la composition physique des astres pour mieux savoir comment les inscrire dans l'infinité de l'Univers. Ses répétitions ne sont finalement pas superflues tant l'idée qu'il propose et étaye nécessite un niveau élevé d'abstraction. Il cherche tout de même à expliquer un paradoxe qui ne manque pas de piquant : comment l'Univers pourrait-il être infini et éternel, si la composition des astres qui l'habitent se borne à un nombre limité d'éléments chimiques ? Un tel dilemme matériel n'empêcherait-il pas de déterminer toute loi générale concernant l'Univers ?


Blanqui se propose donc de résoudre cet obstacle scientifique peu commun concernant la compréhension de l'espace en tant que réceptacle d'une infinité d'astres. Il se contente d'abord de rappeler ce qu'implique matériellement les notions d'infini et d'éternité de l'Univers : une quantité de matière incommensurable qui se renouvelle par un phénomène de renaissance continuelle et anarchique, transcendant le temps et l'espace. Il faut noter que cette perspective ne conçoit ni la présence d'anti-matière ni l'idée que l'Univers serait en perpétuelle expansion. Avec les connaissances dont il dispose, Blanqui conclue qu'il est impossible qu'il existe une infinité de planètes différentes, puisqu'elles sont composées d'un nombre de combinaisons d'éléments chimiques limité. Pour que l'Univers soit réellement infini, il faut donc qu'il existe en plus des planètes originales au nombre fini leur copies respectives qui seraient, elles, d'un nombre infini. Cela implique qu'il existe dans l'Univers une infinité de variation de la planète Terre. Chacune aurait emprunté un chemin historique différent, allant de la non-apparition de la vie à son développement dans une harmonie plus parfaite. Imaginer que les hommes pourraient vivre un jour dans une société égalitaire et pacifiée prend alors tout son sens car selon le raisonnement de Blanqui cette société existe déjà dans une autre version de la Terre située à des milliards d'années-lumières de la nôtre. Cette réflexion peut d'ailleurs tout autant s'appliquer à l'échelle individuelle : il existerait de ce fait une infinité de version de nous-même toute différemment affectée par le monde extérieur, et qui aurait chacune prise des décisions de vie différentes.


Auguste Blanqui n'est donc pas un révolutionnaire entravé par son emprisonnement, puisque d'autres versions de lui-même dans d'autres endroits de l'Univers ont pu prendre les armes et accomplir la révolution sociale. D'autres enfin, ne s'en sont pas préoccupées et ont vécues en notable assis dans son fauteuil. À l'aune de la conscience historique, Blanqui fait ainsi le plus beau pied de nez qui soit aux "réalistes" et autres contre-révolutionnaires de tout genre en affirmant la réalisation effective de chaque victoire de l'humanité sur l'obscurantisme dans un autre espace-temps que le nôtre, et cela sans verser dans l'utopisme abstrait puisque son point de départ est éminemment matérialiste. Il affirme dans le même mouvement l'existence d'un libre arbitre puisque chacun de nos actes potentiels forgent notre identité universelle autant que nos actes effectifs. Blanqui n'était peut-être pas sur les barricades pendant la Commune de Paris. Mais son acharnement à avoir rendu possible l'avènement de l'insurrection parisienne, tout comme sa conviction inébranlable dans la possibilité d'un ordre social plus égalitaire lui font toucher du doigt l'éternité qui le fascinait tant depuis sa cellule.

Marius Jouanny

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