Les tueurs en série ne font pas de politique

On peut bien évidemment tuer pour des raisons politiques (cf l'actu), mais sans être un grand criminologue, j'ai du mal à concilier le serial killer à l'ancienne et l'idéologue.
J'ai quand même l'impression que globalement, le tueur qui va s'attaquer à des séries de gonzesses, obéit davantage à des pulsions animales et sexuelles qui sont plus fortes que lui, et qu'il ne parvient plus à maîtriser. Il va tirer des meurtres et des traques qui vont suivre, une sorte de jouissance, une drogue dont il ne pourra plus se passer. Cf d'ailleurs l'intéressant (mais un peu casse-couilles quand même) "Schizophrenia" de Gerald Kargl qui permet de suivre au plus près les méandres de la conscience d'un fou furieux, qui une fois sorti de prison, ne pense qu'à trouver le moyen de tuer, coûte que coûte.


Dans le bouquin, ce qui est assez déroutant, c'est qu'on a affaire à un serial killer idéologue, complètement froid, détaché (avec des dialogues qui font un peu vilain de cartoon du type "AHAHAHA JE SAIS QUE JE SUIS UN GROS PSYCHOPATHE ! MAIS POURQUOI LES PSYCHOPATHES NE SAURAIENT PAS QU'ILS SONT PSYCHOPATHES !"), en pleine possession de ses moyens, et qui agit pour des motivations strictement politiques (enfin c'est ce qu'il dit...).
Dans une lecture au 1er degré, je dois avouer avoir eu du mal à y croire, même si quelque part tout pourrait être possible et donc admissible.


Mais bon, là ça vient s'ajouter à une série de trucs tellement énormes et aux limites de l'incohérence dans le récit, qu'on peut se questionner sur la crédibilité de l'ensemble, la traque finale étant notamment bourrée de deus ex machina, et de coïncidences franchement délirantes.


"L'Homme chauve-souris" est la première enquête de l'inspecteur Harry Hole, énième héros scandinave à la poursuite des pires tueurs de la planète.
A croire qu'avec la Corée du Sud (cf leur cinéma où tout le monde s'entretue à la pioche et au marteau), la Scandinavie est la région du globe où il y a le plus de grands malades, avec en moyenne 9 psychopathes pour 10 habitants.


Là c'est un cas plus particulier, puisqu'on a un enquêteur norvégien, qui part enquêter en Australie, et qui lors de son périple, va rencontrer une jolie suédoise rouquine, des aborigènes (des boxeurs, des flics, des parachutistes, des poivrots, des dealers), quelques wasp, des prostituées, un chinois, mister Bean un ignoble diable de Tasmanie, et un terrifiant crocodile d'eau salée (le Saltie).


Autant dire, qu'on a tous les codes du genre, et qu'on est en terrain parfaitement connu, niveau polar lorgnant tranquillement vers le thriller.


Un des défauts majeurs du roman, outre quelques incohérences, et un côté wtf trop accentué, c'est qu'on sent que l'auteur a voulu resserrer au maximum l'intrigue sur un nombre de jours le plus réduit possible, pour avoir la plus faible unité de temps (et donc le sentiment d'immersion le plus efficace), mais il tire trop sur la corde :


Le héros reste en Australie une dizaine de jours à tout casser, et pourtant, vu l'évolution de ses rapports avec les différents personnages, on a le sentiment un peu grossier qu'il les connait depuis des mois, pour ne pas dire des années, et qu'il a créé des liens improbables sur de si courtes durées pour le commun des mortels (ou alors Harry Hole est l'homme le plus sociable de la galaxie). Il aurait fallu beaucoup plus de temps pour vraiment y croire, mais cela aurait pu nuire au rythme effréné cherché par l'auteur qui se retrouve ainsi souvent le cul coincé entre deux chaises.


Dans la suite de ce problème, on voit qu'il veut lâcher de temps à autres des accélérations fulgurantes, mais ne les assume pas totalement puisqu'il en vient à casser soudainement le rythme en ciselant son récit. Hop voilà une séquence palpitante, que l'on va interrompre provisoirement par le biais d'un flash back, ou d'une anecdote (anecdotique) racontée par tel ou tel personnnage. C'est parfois extrêmement frustrant, avec la sensation désagréable que l'auteur gagne du temps (et des pages), après s'être laissé dépassé par un excès de rythme.


Autre technique, celle des séries télés, on interrompt un climax en plein milieu, et on ouvre le chapitre suivant par un truc qui n'a rien à voir, qui peut se situer avant, ou alors bien après dans la timeline, et revenir bien plus tard à la suite de l'action, le procédé est là aussi assez frustrant, et assez gratuit (surtout au bout de la quatrième fois, au départ l'idée n'est pas si mauvaise), donnant le sentiment de vouloir enrichir le récit de façon très artificielle.


Pour finir sur les reproches, c'est aussi extrêmement bavard, à base d'anecdotes racontées par des personnages (qui racontent leur vie, ou des légendes australiennes qui sont plus intéressantes, mais pas toujours bien intégrées), et qui noient le récit, qui l'empêchent de respirer (encore cette manie de vouloir aller trop vite). Peu de descriptions, peu d'ambiance, on ne se pose jamais vraiment pour comprendre l'univers australien.
Le pire c'est que les séquences tendues sont parfois tellement mal racontées, qu'il est extrêmement difficile de les comprendre (cf une scène de meurtre que j'ai dû relire 4 fois pour piger qui faisait quoi, où, comment, quand, et qui part dans tous les sens. Mais même après plusieurs relectures, ça reste très confus, parce que c'est un bordel sans nom avec des tonnes de personnages et des tonnes d'enjeux (De Palma se serait régalé avec ce genre de séquence), et qu'on a très mal posé le décor. On te balance dans le coeur de l'action et débrouille toi avec ton imagination. Un peu facile.)


Malgré tout, ça reste captivant, y a du talent, le héros est sympa comme tout et a de l'empathie pour ses congénères, ce qui le rend attachant. Les personnages secondaires sont chouettos, les deux trois légendes aborigènes racontées ont de la gueule, et le portrait de l'Australie est plutôt intéressant et crédible (le background étant le point fort du récit). Dommage que le tueur ne soit finalement qu'un quidam sans grand intérêt.


Mais bon, je lirai la suite des aventures d'Harry Hole sans rechigner.

KingRabbit
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le 12 avr. 2015

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