"Un monstre étrange"
Corneille sait. Il sait que son histoire est un peu décousue, complètement baroque (même si évidemment le mot n'est pas utilisé encore), que le premier acte est un prologue, les trois suivants une...
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le 8 oct. 2011
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Corneille présentait cette œuvre comme un « étrange monstre » dont il voyait le premier acte comme un prologue, les trois suivants comme une comédie imparfaite, et le dernier comme une tragédie. Il faut le dire, l’auteur est sévère avec cette œuvre qui est pourtant d’une grande modernité. En effet, L’Illusion comique porte parfaitement son nom, car il se débarrasse de toute dramaturgie classique pour proposer une mise en abyme d’un « théâtre dans le théâtre ». L’illusion se fait à travers un magicien du nom d’Alcandre, qui aide un père attristé, Pridamant, de ne pas retrouver son fils, Clindor, qui l’a fui à cause de sa grande sévérité. Mais les soi-disant pouvoirs d’Alcandre permettent au père de voir ce qu’est devenue la vie de Clindor, à travers des soi-disant spectres parlants, devenu le suivant d’un capitaine gascon fanfaron, amoureux de la belle Isabelle, qui est elle-même l’amante de Clindor. Commençant dans une atmosphère fantastique (un magicien dans sa grotte), la pièce continue dans le ton d’une comédie pure (le couple amoureux qui se moque du fanfaron), puis débouche sur de nombreuses péripéties tragi-comiques (trahison, duel, mort, prison, évasion) jusqu’à une tragédie finale (la mort du héros), puis un levé de rideau inattendu, car tous ces événements n’étaient qu’un leurre et les personnages jouaient eux-mêmes les personnages de cette fausse pièce dont Alcandre est le metteur en scène. Il présente à Pridamant, le spectateur humain, ce spectacle de la vie humaine dont l’Acteur principal est Clindor.
L’œuvre est pleine de paradoxes et de contrastes, joue sur de nombreux genres et déroule une multiplicité d’actions sur plusieurs lieux et sur une durée longue ainsi que sur plusieurs strates différentes qui sont emboîtées les unes dans les autres. C’est pourquoi on peut qualifier L’Illusion comique d’œuvre baroque, qui puise dans le plus pur du classicisme afin d’offrir un nouveau type de comédie encore jamais vu à l’époque. Car, en effet, les personnages sont stéréotypés, mais cela est signifié subtilement, car chaque personnage joue un rôle bien défini par les codes du théâtre classique. La modernité s’impose donc dans cette idée de poupée russe narrative et ce dialogue de la pièce intérieure avec la pièce extérieure, mettant en perspective une porosité sur le niveau de représentation auquel le spectateur a affaire. L’illusion est donc l’artifice du magicien, mais aussi le piège que Corneille nous a tendu, car on s’éprend des situations qui fonctionnent parfaitement et de la dimension romanesque.
Finalement, on peut voir dans ce tour de magie théâtral une apologie de cet art lui-même, mettant en avant les qualités de l’auteur dramatique autant que celles des comédiens, alors que le théâtre privilégiait toujours leur point de vue. C’est ce que dit Alcandre à Pridamant lorsque ce dernier se plaint d’être tombé dans le piège dans la scène 6 de l’Acte V. Dans une belle tirade, Corneille rend hommage à la grandeur du Théâtre et à l’importance accordée par le Royaume, en faisant d’ailleurs une dédicace à Richelieu, grand mécène et passionné de théâtre, qui fera construire dans son propre palais l’un des plus beaux théâtres parisiens.
Enfin, en plus d’être une métaphore de la puissance du théâtre, c’est aussi une métaphore du « théâtre du monde » et des situations humaines, un thème philosophique prolifique lors de la Renaissance et du XVIIe siècle. Le personnage de Clindor symbolise la vie d’un homme en passant par toutes les étapes essentielles (départ du foyer, faire-valoir, découverte de l’amour, séduction de l’être aimé, rivalité, combat, mort). En cela, pour reprendre les termes de Georges Forestier, il est un acteur inconscient sur le théâtre du monde, mais sa renaissance le fait devenir un acteur conscient de l’être sur le théâtre des hommes. En cela, la pièce de l’auteur se situe dans la droite lignée de ses œuvres ultérieures : la place de l’homme et particulièrement du Héros dans le grand théâtre du monde.
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Créée
le 19 juil. 2025
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Corneille sait. Il sait que son histoire est un peu décousue, complètement baroque (même si évidemment le mot n'est pas utilisé encore), que le premier acte est un prologue, les trois suivants une...
Par
le 8 oct. 2011
10 j'aime
Est-ce une comédie ? Une tragédie ? Selon Corneille lui-même, cela dépendrait des actes et que l'ensemble forme une tragi-comédie. Outre le côté esthétique et que le fait que ce soit très bien écrit,...
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le 8 févr. 2011
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Je dois avouer ne pas être très convaincue. La poésie baroque n'est pas déplaisante, le théâtre par contre est à mon gout trop inégal dans l'intrigue. Ca part un peu dans tous les sens, sans grande...
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le 10 août 2010
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Le film prend comme contexte l'époque de la Régence, en 1719, dans laquelle Philippe d'Orléans assure cette régence jusqu'à la majorité de son petit-cousin, et symboliquement son neveu, Louis XV. Au...
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