New York 2012 (c’était du temps où je voyageais) ; un restaurant où sont installées, autour d’une table ronde, quatre personnes. Elles ne se regardent pas. Toutes les quatre, tête baissée, ont chacune le regard posé sur leur téléphone. C’est suffisamment rare, pour moi, petit européen, que je m’en étonne ; je ne sais pas encore ce qui nous attend chez nous dans quelques années.

Paris 2025. Nous sommes 22 dans ce wagon de RER ; j’ai eu le temps de compter puisque, comme souvent, le RER est bloqué, portes fermées. 18 ont le nez dans leur téléphone, 2 personnes sont somnolentes, 1 voyageur (une femme) lit un livre (!), et moi, et moi… je dois répondre, mon téléphone sonne…

Dans la rue : une jeune femme promène dans une poussette un enfant de deux ans environ, lequel babille et sollicite son attention (une interaction quoi !) ; peine perdue, maman est sur son téléphone. L’automobiliste devant moi fait un écart important dans sa trajectoire ; je réussis à le doubler, je m’aperçois qu’elle est au téléphone. Un passant qui me croise me heurte de l’épaule ; pas d’excuse, il parle au téléphone.

Le propos du livre « La civilisation du poisson rouge » n’est pas de dénoncer ces comportements, il est de rendre compte du problème de l’inattention qui se pose, et se posera d’autant plus fortement avec les nouvelles générations élevées dans le bocal des écrans, un monde peuplé de Dory avec trouble de la mémoire immédiate.

Juste un extrait qui résume parfaitement la thèse du livre :

« La société numérique rassemble un peuple de drogués, hypnotisés par l'écran. (…) nous n'avons pas pris garde au glissement de l'habitude vers l'addiction. Trois éléments distincts définissent le problème : la tolérance, la compulsion et l'assuétude. La tolérance énonce la nécessité pour l'organisme, d'augmenter les doses de façon régulière, pour obtenir le même taux de satisfaction. La compulsion traduit l'impossibilité, pour un individu, de résister à son envie. Et l'assuétude, la servitude en pensée et en acte, à cette envie, qui finit par prendre toute la place dans l'existence. Le simple énoncé de ces critères conjugués à l'observation de nous-mêmes et de notre entourage force le diagnostic : Nous sommes sous emprise ! »

Le constat de l’auteur est accablant et pourtant celui-ci se veut optimiste puisqu’il écrit dans ses remerciements :

« Je crois toujours en un univers numérique de qualité, de partage d’information, de savoir et de culture, y compris sur les grandes plates-formes sociales. »

Le problème c’est que tout son livre démontre le contraire.


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Philippe Erbs

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