Dans une Allemagne en proie à l’hyperflation et aux bouleversements financiers des années 20, un marchand d’art berlinois ayant hérité de la galerie familiale rencontre des difficultés économiques. Il reprend le carnet de commandes de la boutique pour y trouver ses plus grands clients historiques et leur soutirer quelques pièces à moindre coût. Il y trouve le nom d’un collectionneur d’estampes qui n’a plus donné de nouvelles depuis le début de la guerre : son vaste musée personnel constitué au fil des décennies compterait des oeuvres inestimables. La galeriste monte alors dans un train en direction de sa dernière adresse connue et y trouve un homme âgé, aveugle et méfiant, vivant avec sa femme et sa fille. Lorsqu’il comprend qu’il a affaire à un passionné d’art, ce vieil homme s’émerveille à l’idée de pouvoir montrer sa précieuse collection à un connaisseur. La mère et la fille contrastent avec cet enthousiasme et font savoir au marchand que ces derniers mois, elles ont dû vendre jusqu’à la dernière de ses oeuvres pour survivre dans le contexte économique difficile qui les étouffe, mais qu’elles ont choisi de ne pas lui avouer et de remplacer les estampes par des toiles vierges. Le marchand retourne auprès du vieil homme, qui parcourt une à une ce qu’il croit être ses estampes, dont il se souvient avec une telle précision qu’il est capable de s’en faire une parfaite représentation imaginaire et d’en profiter comme s’ils pouvaient encore les contempler. Sous le regard attendri du commerçant, son regard s’illumine et sa voix exulte devant cette collection invisible qui continue de faire le bonheur de celui qui l’a constituée, ignorant de sa dispersion aux quatre coins du monde.
Cette jolie nouvelle rappelle le pouvoir de l’imagination et de la mémoire, la beauté que peut avoir l’illusion et la valeur morale positive du mensonge lorsqu’il est motivé par la compassion. L’homme était si heureux de montrer sa collection : pourquoi lui faire du mal en lui avouant qu’il tenait en réalité des feuilles blanches ? Cette histoire sans grand enjeu est un bon exemple pour traiter la question du mensonge bienveillant, là où celui d’un adultère pourrait se prêter à un jugement moralisateur. On sent en effet que, sauf à défendre une pureté de l’intention morale comme Kant, il est difficile de ne pas reconnaître la qualité morale de l’acte de mentir dans le cas qui nous occupe.