Avec La Collision, Paul Gasnier signe un premier livre à la fois intime et politique, un récit percutant qui interroge les fractures de notre société à partir d’un drame personnel : la mort de sa mère, fauchée en 2012 par un jeune motard lors d’un rodéo urbain à Lyon. Ce fils devenu journaliste y mène une enquête sensible qui cherche à comprendre, à relier, à nommer ce qui dépasse l’accident.
Le titre ne désigne pas seulement le choc physique entre deux corps, mais surtout la collision symbolique entre deux mondes : celui d’une femme ancrée dans une vie stable et celui d’un jeune homme pris dans un engrenage de précarité, d’errance et de déterminismes sociaux. Plus ce face-à-face brutal révèle dans son récit les lignes de fracture d’une société où certaines trajectoires ne se croisent que dans la violence, moins l’auteur cherche à opposer, mais à mettre en tension, à explorer ce que cette rencontre dit de nous et de nos institutions.
L’une des grandes qualités du livre réside dans la justesse des réflexions, patiemment élaborées au fil de rencontres avec la sœur du conducteur, les avocats, le juge, un policier, des éducateurs sociaux, autant de voix qui, venant nuancer, éclairer, parfois bousculer les certitudes de l’auteur, nourrissent une pensée en mouvement, magnifiquement exprimée, toujours en quête de sens plutôt que de verdict.
Sobre et pudique, l’écriture évite le pathos tout en exhalant une émotion palpable. La narration avance avec précaution, comme dans la crainte de trahir la mémoire maternelle ou de céder à une colère trop facile. Cette retenue participe à la dignité d’un texte dont chaque mot semble pesé, chaque question posée avec humilité, le transformant au final en espace de réflexion sur la responsabilité, la justice et la mémoire, mais aussi sur le rôle du langage face à la violence et à l’irréparable.
Refusant toute instrumentalisation politique du drame, l’auteur s’inscrit vigoureusement en faux contre la récupération idéologique qui transforme les faits divers en carburant pour discours sécuritaires. Dans son questionnement des trajectoires sociales, des mécanismes judiciaires et des récits médiatiques, il prend garde à ne jamais céder à la simplification et, loin de chercher à imposer une vérité, s’attache à ouvrir des pistes, à faire entendre des voix peu entendues du grand public et à rendre visibles des réalités reléguées hors champ.
Bien plus qu’un témoignage, ce livre qui transforme la douleur en parole s’affirme comme un texte fort, porté par de vraies qualités d’écriture, une réflexion ample et nuancée, ainsi qu’une posture éthique irréprochable. En somme, une bien belle et prometteuse entrée en littérature. Coup de coeur.
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