Serge Mouret a été ordonné prêtre, lui que l’Abbé Faujas avait poussé vers Dieu dans l’opus précédent (La Conquête de Plassans). L’enfant devenu homme (Serge est âgé de 26 ans) est gardien de l’âme dans le hameau des Artaud, tout près de Plassans. Le village n’est pas très fervent. On y est paysan ou artisan de père en fils, on se lève avant le chant du coq et on se couche fort tard. Alors le Bon Dieu… L’Abbé Mouret prononce ainsi souvent la messe dans une église vide.

Alors qu’il était parti pour raisonner un père afin qu’il consente au mariage de sa fille – enceinte –, l’homme de Dieu croise la route de son oncle, le docteur Pascal. Celui-ci se rend au chevet d’un octogénaire qu’on dit mourant. Il est le seul gardien d’une immense propriété : Le Paradou, sur les hauteurs, au-dessus des Artaud. Le vieux est athée et hostile à la religion. Pourtant, l’Abbé Mouret lui est sympathique. C’est dans cette maison, sise au milieu d’un parc arboré et isolée du monde extérieur, que Serge rencontre Albine, une jeune fille de 16 ans, vierge et innocente, habillée de blanc et encore enfant.

Malgré lui, Serge est vivement impressionné. A tel point qu’il tombe gravement malade le soir même alors qu’il tentait – en vain – de résister à la tentation. Le croyant perdu, le docteur Pascal accouru aussitôt soigner son neveu décida de l’isoler loin de son église afin qu’il puisse se reposer. Et pour cela, il ne trouva rien de mieux que de l’emporter au Paradou et de le confier aux bons soins d’Albine.

Albine et Serge eurent ainsi le temps de faire connaissance et d’apprendre ensemble ce que les enfants d’aujourd’hui apprennent dès leur plus jeune âge : aller vers l’autre, tendre la main, se promener, jouer, découvrir le monde. Découvrir l’autre, flirter. Tomber en amour sans s’en apercevoir. Le jeune couple, insouciant, bat la campagne, se balade dans l’immense parc du Paradou qui ne semble pas avoir de limite. C’est Adam et Eve qui découvrent le jardin d’Eden. Ils ne sont pas nus avec une feuille de vigne devant le sexe, mais c’est l’idée développée par Zola.

Et comme le couple biblique, ils croquent la pomme : Serge se retrouve allongé sur Albine, le pantalon sur les chevilles. C’est la faute. Impardonnable pour un prêtre. Dès lors, le parc devient plus sombre. Et comme la maison de Colin et de Chloé qui rétrécit au fur et à mesure que l’état de santé de Chloé décline, le parc ne semble plus illimité : où qu’Albine et Serge dirigent leurs pas, ils tombent immanquablement sur le haut mur d’enceinte. Et par une brèche, Serge aperçoit son église en contre-bas. C’est pour lui un choc. Le retour à la conscience de son ministère. Qu’a-t-il fait ? Il est perdu. Il s’échappe par la trouée et rejoint son presbytère afin d’y implorer son maître, laissant sa semence faire son œuvre dans le ventre d’Albine. Le Diable n’a pas dit son dernier mot…

Une jolie partie de campagne que cet épisode provençal. Zola y multiplie les descriptions de la nature épanouie et rappelle évidemment la longue tirade sur les Aubépines du côté de chez Swan. Comme Albertine, Albine est une jeune fille en fleur au printemps de sa vie. Elle est jeune, belle et ne demande qu’à s’ouvrir à la vie. Pour son malheur, le premier jeune homme dont elle croise la route est un homme qui a voué sa vie à la religion et à l’ascétisme.

La Faute de l’Abbé Mouret est un conte cruel dans lequel Serge ne pourra que se perdre. Car il est rapidement évident qu’il devra choisir entre son amour de Dieu et son amour pour Albine. Le Ciel ou la Terre. L’Eternité ou le Présent. Sa décision prise, il vivra jusqu’à la fin de ses jours dans le regret de son amour perdu – et non dans la plénitude de son amour choisi. Tel Icare, le jeune homme a brûlé ses ailes mais contrairement au Phénix, ne renaîtra pas de ses cendres.

Un beau texte dans lequel la pierre froide et nue de l’église tranche violemment avec la luxuriance de la végétation du Paradou. Deux mondes opposés et inconciliables que Zola, dans son infinie sagesse a juxtaposé pour critiquer une religion toute puissante et injuste et se moquer des bigotes et des dévots adeptes inconditionnels de la génuflexion.
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le 15 déc. 2014

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