C’est un livre très court, oscillant entre essai et roman, publié en 1987, quatre ans avant « Tous les matins du monde ». On y voit déjà Marin Marais, renvoyé du chœur de Saint-Germain l’Auxerrois après sa mue, et cherchant à maîtriser la voix de la viole, caché pendant des jours sous la charpente de la cabane de Sainte-Colombe pour écouter son maître jouer.

Pourquoi n’y a-t-il pas, ou si peu, de femmes compositeurs ? On sent que Pascal Quignard aime profondément la musique, dans sa chair. Il l'entend comme la voix d’un exil, comme la perte de ce que l’on entend et ressent avant la naissance, dans le ventre maternel, la perte de la voix d’enfant avec la mue de la voix des hommes. La musique lui est régressive, comme une manière de combler ces exils.

C’est une vision charnelle de la création musicale, mais en même temps surtout douloureuse, en forme de manque, de creux, et formulée de façon très intellectuelle. Il y manque l’exaltation, le plaisir plein - à moins que je ne sois ici dans l’utopie de celle qui n’est qu'auditrice, musicienne du dimanche ?
« Toute la musique est du narratif vide. Et tout le narratif est dans le temps et se résume lui-même à domestiquer, c'est-à-dire au sens strict à castrer la durée (la frustration, la faim, le désir). »

La dernière partie du livre, néanmoins, «La dernière leçon de musique de Tch’eng Lien», tout en restant très douloureuse (on a bien compris qu’on n’était pas ici pour sourire…), fait plus vibrer. Un maître de musique chinois cause à son disciple Po Ya un chagrin en détruisant ses instruments, mais cela ne suffit pas, sa musique reste vide de tout sentiment. Ce ne sera que lorsqu’il pleurera au fond de son cœur la disparition de son maître qu’il deviendra le plus grand musicien du monde.

« Vous êtes comme un enfant dont la voix mue. Vous êtes comme un enfant dont les lèvres hésitent entre le sein de sa nourrice et la mamelle des prostituées. Vous êtes comme un enfant dont le palais hésite entre l’univers du lait et celui du vin chaud, entre la voix qui s’élève brusquement comme un petit oiseau au dessus des frondaisons et une grosse voix de bûcheron ou de charretier qui bourdonne et aboie contre son tronc ou sa mule. Vous hésitez entre ce que vous sentez et ce que vous savez. Vous avez encore beaucoup à faire avant de vous rapprocher de la musique. »
MarianneL
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le 12 oct. 2012

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