D'abord, le fond. Dans une Nouvelle Angleterre toute neuve, très puritaine, une très jeune femme, Hester Prynne est vouée aux gémonies par sa petite communauté intransigeante, parce qu'elle a fauté : non seulement elle a eu un enfant hors mariage, mais en prime, elle refuse de dénoncer l'auteur de ce méfait. Elle est donc condamnée à être exposée en place publique et mise au ban de la société de son époque. A sa place, j'en en aurais été heureuse; on sait l'hypocrisie du puritanisme. Mais Nathaniel Hawthorne ne jette pas la pierre aux pionniers, partis d'Angleterre pour pouvoir vivre leur foi extrême tranquillement entre eux : ils ont choisi des principes qui leur ont semblé plus sains que ceux de leur mère patrie et ont voulu pousser leur expérience terrestre jusque dans ses derniers retranchements par souci de sauver leur âme pénitente et pas juste pour enquiquiner les femmes. Quand l'une d'entre elles s'écartait un tant soit peu de leur morale ultra rigide, elle encourait un ostracisme serré, toujours pour le salut de son âme. Jamais l'auteur ne montre ces exaltés corsetés sous un jour vraiment négatif. Le seul qui ait droit à sa sévérité est le revenant qui n'est mû que par la vengeance et omet de pardonner à son prochain. Lui, oui, est présenté comme guidé par le Malin. La superstition imprégnait la société de ce temps jusqu'au tréfonds de son âme inquiète. Au milieu de ces conservateurs finalement assez craintifs même si passablement sévères et bornés, Hester est une figure de dignité émouvante, rapidement éclipsée par la petite Pearl, née de son péché, une enfant aux qualités quasi-médiumniques, sorte d'elfe vengeur dont l'innocence ravageuse incarne le doigt de Dieu posé sur sa mère. Et sur son père. La fatalité rôde jusqu'à un dénouement aussi tragique que la scène d'ouverture. Entre ces deux moments forts, le Destin met ses pions en place, patiemment, au fil des années et le drame se noue sous nos yeux pleins d'appréhension. La tension ne retombe jamais au fil de ces 24 chapitres implacables.

Ensuite, la forme. Bien que vieillotte à souhait, elle est totalement au service d'un propos qui se veut édifiant. Il s'agit là d'une démonstration aux mailles serrées, que la syntaxe sert à merveille. J'ai lu cette histoire dans la nouvelle traduction proposée par les éditions Gallmeister, de François Happe, que je ne peux pas comparer à la précédente, mais sa tenue (à la faute de la page 55 près, et je devine qu'elle n'est pas de son fait...) m'a semblé tout à fait remarquable. Les phrases sont longues et alambiquées, mais il émane d'elles un enchantement puissant et hypnotique, car on sent qu'il se love dans leurs sinuosités des trésors de cruauté dont on attend l'irruption imminente, saisi d'appréhension. L'auteur y cabotine un peu, après un préambule qui le met en scène à la Douane de Salem et met à profit la réputation sulfureuse du lieu. On sait d'entrée qu'il y sera question de femmes et de faute; de sorcellerie, en somme. Avec le gros siècle qui le sépare des événements qu'il s'efforce de reconstituer, il peut se permettre de se livrer à des conjectures dans lesquelles il étale avec jubilation son esprit et sa pénétration psychologique tarabiscotés. Mais il n'oublie jamais de célébrer la sombre beauté du monde, jouant sur des contrastes qu'il maîtrise en poète. Et là, c'est une nostalgie pétrie de regret qui s'est emparée de moi quand j'ai réalisé qu'il fallait remonter au XIXème siècle pour pouvoir se réjouir pareillement d'une manière d'écrire qui me paraît désormais inaccessible à la plupart des auteurs de mon époque.

Bref, une lecture que j'avais devinée passionnante à l'aura que les mots de ma professeure de littérature américaine diffusaient quand elle l'évoquait, aux États-Unis il y a trente ans, et qui ne m'a rattrapée que cette année, mais mieux vaut tard que jamais et je suis on ne peut plus heureuse de n'avoir pas poussé la négligence jusqu'à passer à côté de ce monument très, très recommandable. Merci, Mrs. Pulstoka !

Créée

le 7 juin 2023

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