Attention chef-d'œuvre.

Poète, anarchiste et aimant les plaisirs de la vie, Blaise Cendrars s'est engagé volontaire dans la Légion étrangère dès les premiers coups de canons de ce qui sera la Première Guerre Mondiale. De son expérience, il en ressortira entre autre avec un bras en moins puis plus tard nombre de souvenirs qu'il couchera par écrit.

Dans La Main Coupée, qui fait partie d'une tétralogie autobiographique, le gars Blaise évoque ses souvenirs du front. Grande gueule, casse-cou, tête brûlée, esthète, anarchiste et libertaire, il était à l'image de nombre de ses compagnons d'armes au sein de son escouade franche.
Dans ce récit, c'est l'amitié qui est au centre de tout. Le légionnaire, engagé sous un faux nom, raconte sa vie au front au milieu des gouapes qu'étaient les soldats vivant et mourant à ses côtés. Ce livre est conçu comme une succession d'anecdotes, de souvenirs, mettant en scène ces hommes dans leur quotidien, d'autant d'horreurs fût-il rempli.

C'est ici une formidable ode à l'amitié à laquelle nous assistons, nous lecteurs, ainsi qu'un portrait hors du commun du légionnaire français de l'époque. Nous voyons défiler sous nos yeux les personnages les plus baroques, vivant comme Cendrars le décrit si bien, "une petite guerre dans la Guerre".
Il faut les lire les brèves chroniques de ces poilus. Un florilège de petits escrocs, de marlous, d'aventuriers et de desperados de tout horizon. Sous la protection et l'amour du narrateur, le gentleman farmer québecois qui vint en France avec 300 chevaux en cadeau pour l'armée se mélange au maquereau de Pigalle syphilitique. Deux sexagénaires mystiques américains, refusant de porter armes et boutons sur leurs vêtements côtoient un géant ne vivant que pour se nourrir. Ou encore, le mystificateur de haut vol se tenant face à la mort à la dextre de l'exilé russe. Tout un programme.

On sent à travers ces forts en gueules où certains écrivains sont allés puiser pour créer leurs personnages et univers (Vautrin par ex.). Et c'est aussi quelque part proche de Céline, en tendant vers la caricature et le parler oral retranscrit sur le papier. Pourtant on est aussi à l'opposé de Louis Ferdinand, de part les idées et la façon d'aborder le monde.
Mais comme dans Voyage au bout de la nuit, Blaise n'encense en rien la guerre, ni de l'idéalise. Au contraire, il la conchie, autant qu'il conchiait l'idée de mourir pour la patrie. Son dégoût et ses idéaux sont violemment décrits lorsqu'il est confronté à un agent de la sûreté réformé, venu au front pour une certaine affaire et pour tirer du Boche et se vanter ensuite à l'arrière d'y avoir participé. Tout comme la haine qu'il pouvait porter aux militaires de carrière, gradés, hautains et à mille lieux d'avoir un comportement digne d'être un homme aux yeux de Cendrars.

Malgré cela, on ressent toute l'amitié et tout le respect qu'il a pu porter à ses camarades lors des terribles mois passés sur le front. Camarades qui pour la plupart ne seront pas rentrés (il n'en recroisera qu'une toute petite poignée d'entre eux le conflit terminé). Avec le Feu de Barbusse, c'est peut-être l'un des plus beaux hommages qui fût écrit sur la camaraderie des tranchées, seule façon quelque part d'avoir pu supporter et survivre à l'enfer.
kentin
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le 27 mai 2014

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